Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/30

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par trouver le temps si long que je craignais presque de vous avoir perdu.

— Perdu ! répliqua gaiement Nicolas, n’ayez pas peur. Vous n’êtes pas près d’être débarrassé de moi, je vous en réponds. Il m’arrivera encore plus d’une fois de remonter sur l’eau. Plus fort on pousse la balle, et plus vite elle rebondit, Smike. Mais, allons, je suis chargé de vous emmener à la maison.

— À la maison ? balbutia Smike reculant avec timidité.

— Eh bien, oui ! répliqua Nicolas en lui prenant le bras ; pourquoi pas ?

— Autrefois, je ne dis pas, j’ai eu de ces rêves, jour et nuit, nuit et jour, pendant bien des années. À la maison ! combien j’ai souhaité ce bonheur ! mais j’ai fini par me lasser de mes espérances, il ne m’en est resté qu’une peine plus amère. Mais aujourd’hui…

— Eh bien quoi, aujourd’hui ? lui demanda Nicolas en le regardant avec bonté ; qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui, mon vieux camarade ?

— Je ne vous quitterai pas pour aller à la maison, où que ce fût sur la terre, répliqua Smike en lui serrant la main. J’en excepte un lieu seulement, un seul ; je ne deviendrai jamais vieux ; et si j’étais sûr que ce fût votre main qui me déposât dans la tombe ; si je pouvais espérer, avant de mourir, que vous viendriez l’animer quelquefois d’un de vos sourires si bons, si bienveillants, par un beau jour, un jour d’été, quand tout serait vivant dans la nature, et non pas mort comme moi, cette maison-là, j’y retournerais volontiers sans verser une larme.

— Et pourquoi songer à tout cela, mon pauvre garçon, si vous pouvez vivre heureux avec moi ? dit Nicolas.

— Parce que, si je change, moi, au moins je ne verrai pas les autres changer autour de moi ; s’ils m’oubliaient, j’aurais le bonheur de ne pas le savoir ; et puis, au cimetière, nous nous rassemblons tous ; ici, je ne ressemble à personne : je ne suis qu’un pauvre génie ; mais je vois bien cela.

— Vous êtes un enfant, un nigaud, lui dit Nicolas gaiement. Si c’est là ce que vous voulez dire, nous sommes d’accord. Ne voilà-t-il pas une jolie mine à présenter aux dames, et à ma jolie sœur encore, sur laquelle vous m’avez tant de fois questionné ! Ah ! je ne reconnais plus votre galanterie du Yorkshire. Fi ! que c’est vilain ! »

Smike reprit sa bonne humeur et sourit.

« Quand je vous parle de venir à la maison, poursuivit Nicolas, c’est de la mienne que je vous parle et par conséquent de la