Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

huit jours qu’elle s’est fait enlever par un capitaine à demi-solde. »

Tableau ! étonnement simultané de M. et Mme Kenwigs.

« Enlevée par un capitaine à demi-solde, répéta M. Lillyvick : honteusement, traîtreusement enlevée par un capitaine à demi-solde, une méchante trogne de capitaine à qui personne n’aurait jamais pensé. C’est ici, dans cette chambre, continua M. Lillyvick en promenant tristement ses regards autour de lui, que j’ai vu pour la première fois Henriette Petowker. C’est ici, dans cette chambre, que je la renie pour toujours ! »

À la bonne heure, voilà une déclaration qui changeait bien la face des choses. Mme Kenwigs se jeta au cou du vieux gentleman, en se faisant des reproches amers de la dureté qu’elle venait de lui montrer, et en s’écriant : « Si j’ai tant souffert, combien, mon cher oncle, vous avec dû plus souffrir encore ! » M. Kenwigs serra la main de son ancien protecteur et lui voua une amitié éternelle et un remords qui ne s’effacerait jamais. Mme Kenwigs fut saisie d’horreur en pensant qu’elle avait pu réchauffer dans son sein un pareil serpent, une couleuvre, un aspic, une vipère, un vil crocodile comme Henriette Petowker. M. Kenwigs déclara qu’il fallait qu’elle fût tout cela et bien autre chose pour n’avoir pu se corriger en voyant si longtemps sous ses yeux l’exemple de vertu de Mme Kenwigs. Mme Kenwigs se rappela avoir entendu dire souvent à M. Kenwigs qu’il n’était pas édifié de la conduite de miss Petowker, et qu’il ne s’expliquait pas l’aveuglement de son épouse pour cette misérable créature. M. Kenwigs se rappela bien quelques soupçons qui lui avaient traversé l’esprit, mais il ne s’était jamais étonné de ne pas les voir partagés par Mme Kenwigs, qui était la chasteté, la pureté, la loyauté même, pendant qu’Henriette était toute bassesse, toute fausseté, toute trahison. Mais M. et Mme Kenwigs furent unanimes à déclarer avec la plus vive émotion et en versant des larmes de sympathie, que c’était un bien pour un mal, et ils conjurèrent ensemble le bon percepteur, au lieu de s’abandonner à des regrets stériles, de chercher sa consolation dans la société de parents affectionnés et fidèles, dont les bras et les cœurs lui seraient toujours ouverts.

« Par attachement et par estime pour vous, Suzanne, et vous, Kenwigs, dit M. Lillyvick, car ce n’est pas par esprit de vengeance ou de ressentiment contre elle, elle n’en vaut pas la peine, je veux demain matin placer sur la tête de vos enfants, avec réversibilité sur les plus vivants à l’époque de leur majorité ou de leur mariage, l’argent que je voulais autrefois leur