Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/302

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léguer par testament. L’acte sera exécuté demain, et M. Noggs voudra bien être un de nos témoins ; il verra si je tiens ma promesse. »

Le moyen de résister à cette offre grande et généreuse ! M. Kenwigs, Mme Kenwigs, Mlle Morleena Kenwigs sanglotèrent tous à qui mieux mieux, et le bruit de leurs sanglots gagnant les chambres voisines, les petits enfants qui étaient au lit se mirent à faire chorus par leurs cris d’attendrissement. M. Kenwigs, la tête perdue, se précipita et reparut bientôt les portant dans ses bras, deux par deux, et les déposant en bonnet de nuit et en chemise longue aux pieds de M. Lillyvick pour qu’ils pussent de là faire monter vers lui l’expression de leurs remerciements et leurs prières au ciel pour son bonheur.

« À présent, dit M. Lillyvick, à la suite de cette scène déchirante et quand on eut remporté les enfants, à présent, donnez-moi quelque chose pour souper. Cela s’est passé à sept lieues de Londres. Je suis arrivé ce matin, je suis resté toute la journée à badauder sans pouvoir me résoudre à venir vous voir. Moi qui ne la contrariais en rien, qui la laissais en liberté de faire tout ce qu’elle voulait, et voilà comment elle m’en a récompensé ! J’avais douze petites cuillers et six cents francs en or, que j’ai bien regrettés d’abord ; ce n’est pas agréable à perdre. J’ai peur de n’avoir jamais la force de retourner soulever le marteau de mes contribuables pour frapper mon toc toc accoutumé dans mes rondes ; mais, je vous en prie, n’en parlons plus. Les petites cuillers pouvaient bien valoir…, n’y pensons plus, n’y pensons plus ! »

Tout en marmottant ces regrets cuisants, le percepteur laissa couler une ou deux larmes, mais on le conduisit à un fauteuil où l’on obtint de lui, sans avoir besoin de trop le prier, qu’il se décidât à souper de bon cœur ; puis, quand il eut fini de fumer sa première pipe et absorbé une demi-douzaine de verres d’un punch de six francs sacrifié par M. Kenwigs pour le retour de l’oncle au sein de la famille, comme autrefois le veau gras de l’enfant prodigue, il parut, quoiqu’il eût toujours l’oreille basse, résigné décidément à son sort, peut-être même plus satisfait qu’autrement de la fugue de sa femme.

Autre tableau : M. Kenwigs enlace d’une main la taille de Mme Kenwigs : son autre main soutient sa pipe qui, par parenthèse, le fait tousser et clignoter pas mal, car ce n’était pas un grand fumeur ; il repose ses yeux sur Morleena assise elle-même sur un genou de son oncle, et s’écrie : « Quand je vois cet homme respectable revenir se mêler encore à la famille dont il fait l’or-