Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/304

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plaines inconnues que les ténèbres de la nuit avaient complaisamment dérobées à sa vue, pour ne point abattre son courage ; il en est de même du pèlerin de la vie humaine : les rayons du soleil levant lui montrent chaque jour quelque nouvel obstacle à surmonter, quelque pic à atteindre. Lui aussi, il voit s’étendre devant lui un horizon qu’il ne soupçonnait pas la veille au soir ; et la lumière qui vient dorer gaiement tous les spectacles de la nature, semble se faire un jeu de mettre en relief tous ces tristes obstacles qui s’élèvent entre la tombe et lui.

C’est dans ces dispositions que Nicolas, avec l’impatience naturelle qui tenait à sa situation, sortit doucement de chez lui de bonne heure. Pourquoi de si bonne heure ? il n’en savait trop rien. Au contraire, il n’ignorait pas qu’il avait encore à passer bien des heures avant de pouvoir parler à Madeleine, et qu’il n’y avait rien à faire dans l’intervalle que de laisser couler le temps ; mais c’est égal, il lui semblait que ce serait gaspiller ce temps précieux que de le perdre à rester au lit ; il aimait mieux le perdre à errer dans Londres, comme s’il suffisait de se lever et de remuer pour arriver plus tôt au but.

Et cependant, à mesure qu’il arpentait les rues, et qu’il y voyait, d’un œil distrait, le jour ramener, par degrés, le tracas et le bruit, tout semblait lui présenter quelque nouveau sujet de découragement. La veille au soir, il trouvait si monstrueux le sacrifice d’une femme jeune, aimante et belle au misérable qu’on lui destinait pour époux, qu’il ne pouvait y croire, et, plus il s’échauffait sur cette idée, plus il restait convaincu qu’il se déclarerait quelque secours inattendu qui viendrait l’arracher de ses griffes. Mais le matin, en pensant à la marche régulière des choses, jour par jour, heure par heure, réglées comme un cadran ; en pensant à la jeunesse qui meurt ainsi que la beauté, pendant que l’âge hideux de l’avarice et de la rapine continue doucement son chemin ; comment la cupidité rusée s’enrichit, pendant qu’il y a tant de cœurs honnêtes que leur vertu n’empêche pas d’être pauvres et tristes ; combien il y a peu de mortels fortunés qui occupent les riches hôtels, pendant qu’il y en a tant d’autres qui habitent des trous infects ; combien même qui se lèvent chaque matin, se couchent chaque soir, vivent et meurent, de père en fils, de mère en fille, de race en race, de génération en génération, sans avoir un chez-eux pour abriter leur tête, sans voir un seul homme mettre au service de leur misère l’énergie charitable de ses efforts et de son caractère ; combien de femmes et d’enfants, poursuivant, non pas le luxe ni les splendeurs de la vie opulente, mais simplement le moyen