Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/306

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réfléchissait au moyen le plus sûr de pénétrer jusqu’à elle dans cette supposition, lorsqu’en arrivant à la porte de la maison, il la trouva entre-bâillée. La négligence de la personne qui ne l’avait point fermée en sortant lui offrait une occasion d’entrer sans cérémonie ; il en profita pour monter et frapper à la chambre où on avait coutume de le recevoir : une voix lui cria d’entrer ; il ne se fit pas prier.

Bray était seul avec sa fille. Depuis trois semaines que Nicolas ne l’avait vue, il s’était opéré dans les traits de cette charmante demoiselle un changement qui ne témoignait que trop visiblement de toute la souffrance morale qu’elle avait eue à endurer et à comprimer pendant ce court intervalle. Il n’y a pas de mots pour exprimer, pas de comparaison pour représenter la pâleur effrayante, la blancheur claire et transparente du beau visage qui se tourna vers lui quand il entra. Ses cheveux magnifiques, d’un brun foncé, voilaient sa face et retombaient sur son cou, dont la blancheur les faisait paraître noirs comme la plume d’un corbeau. Son œil sombre avait quelque chose d’inquiet et d’égaré, mais toujours la même patience dans le regard, la même expression de douleur douce et résignée qu’il lui avait toujours connue, sans aucune trace de larmes. Sa beauté, plus saisissante peut-être que jamais, avait pris un caractère grave et triste, qui lui parut plus pénible et plus attendrissant que l’agonie d’un chagrin violent. Le sien était calme et contenu, mais il était empreint et gravé dans sa physionomie comme si l’effort violent qui avait réussi à lui donner cette contrainte discrète sous les yeux de son père, en dominant l’amertume de ses pensées, avait buriné au passage l’expression rapide de la douleur dans ses traits, pour y laisser une marque toujours vivante de son triomphe.

Le père était assis vis-à-vis d’elle. Il ne la regardait pas précisément en face, mais seulement de côté, et causait d’un air de bonne humeur qui déguisait mal les pensées pénibles dont il était agité. Les crayons, les pinceaux, n’étaient pas à leur place accoutumée sur la table. En général, tous les autres témoins de ses occupations ordinaires avaient également disparu. Les petits vases que Nicolas avait toujours vus remplis de fleurs fraîches étaient vides ou ne contenaient plus que quelques tiges flétries comme leurs feuilles. La serge qui couvrait pendant la nuit la cage du serin n’avait pas encore été retirée ; le pauvre oiseau avait été oublié par sa maîtresse.

Il y a des moments où l’esprit, plus vivement excité par ses peines intérieures à recevoir des impressions vives, voit beaucoup d’un seul coup d’œil ; aussi, Nicolas n’avait eu que la