Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/318

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— N…on, répondit Gride ; qui est-ce qui vous a dit que je me mariais ? d’où savez-vous cela ?

— N’importe où, répliqua Nicolas, je le sais. La demoiselle dont vous allez recevoir la main vous hait et vous méprise. Son sang se fige rien qu’en entendant prononcer votre nom. Le vautour et l’agneau, le rat et la colombe feraient des couples mieux assortis que le vôtre : vous voyez si je vous connais. »

Gride le regarda comme pétrifié d’étonnement, mais sans dire un mot ; il ne s’en sentait pas la force.

« C’est un complot, poursuivit Nicolas, que vous avez ourdi avec un autre, Ralph Nickleby, pour ne pas le nommer. Vous le payez pour la peine qu’il se donne à obtenir la vente qu’on vous fait de Madeleine Bray. Ne le niez pas ; je vois d’ici un mensonge qui tremble sur vos lèvres. »

Il s’arrêta, mais voyant qu’Arthur ne faisait pas de réponse, il continua :

« Au reste, vous ne vous oubliez pas non plus ; vous la dépouillez à votre profit. Comment cela, par quel moyen ? je ne veux pas souiller l’honnêteté de ma cause en vous trompant par une fausseté, je n’en sais rien. Je n’en sais rien quant à présent ; mais je ne suis pas le seul qui m’intéresse à cette affaire. Si l’énergie suffit pour espérer de découvrir un jour votre fraude et votre perfidie avant votre mort ; si la richesse, la vengeance, un ressentiment légitime peuvent donner la force de suivre à la trace vos démarches tortueuses et de vous poursuivre jusqu’au bout, vous aurez un terrible compte à nous rendre. Nous sommes déjà sur la piste ; vous qui savez ce que nous ne savons pas encore, vous pouvez juger seul si nous en avons encore pour longtemps avant de vous tenir. »

Il s’arrêta encore une fois, et Arthur Gride continua de l’observer en silence, d’un œil étincelant.

— Si vous étiez un homme dont on pût avoir l’espérance d’invoquer avec succès la compassion ou l’humanité, dit Nicolas, je vous rappellerais l’abandon où vit cette demoiselle sans appui, son innocence, sa jeunesse, son mérite, sa beauté, sa piété filiale si exemplaire, et je finirais par en appeler plus directement, comme elle l’a fait elle-même, à votre pitié, à votre humanité ; mais non, je veux vous prendre par où l’on peut seulement prendre les hommes comme vous, et je vous demande quelle est la somme que vous voulez pour vous indemniser. Rappelez-vous le danger auquel vous vous trouvez exposé ; vous voyez que j’en sais assez pour pouvoir en savoir bientôt davantage. Débattez