Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/319

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en vous-même le gain auquel vous pouvez prétendre et le risque que vous courez sans cela, et dites-moi votre prix. »

Le vieil Arthur Gride remua les lèvres ; mais elles ne firent qu’ébaucher au coin de sa bouche un sourire qui le rendit encore plus laid, et reprirent leur immobilité sans avoir prononcé une parole.

« Si vous croyez, dit Nicolas, qu’on ne vous payerait pas, sachez que miss Bray a des amis opulents qui prodigueront volontiers leur or et leur sang, s’il le faut, pour la sauver dans sa détresse. Dites-moi seulement votre prix ; différez vos noces de quelques jours, et vous verrez s’ils refuseront de vous payer. Vous m’entendez ? »

Lorsque Nicolas avait commencé de parler, l’impression d’Arthur Gride avait été que Ralph Nickleby l’avait trahi ; mais à mesure qu’il l’écouta, il se convainquit davantage que, de quelque manière qu’il eût réussi à pénétrer ce secret, ce jeune homme agissait franchement pour lui-même, sans avoir rien à démêler avec Ralph. Il n’y avait qu’une chose qu’il parût savoir avec certitude, c’est que lui, Gride, payait à Ralph la dette de Bray ; mais c’était une circonstance qui n’avait rien d’extraordinaire pour personne, quand on connaissait l’état misérable du débiteur, et Ralph lui-même n’en avait pas fait mystère. Quant à la fraude dont Madeleine devait être la victime, l’inconnu en savait si peu la nature et l’étendue, qu’on devait croire que c’était plutôt chez lui un soupçon en l’air ou une inspiration heureuse du hasard ; en tout cas, il n’avait évidemment pas la clef de l’énigme et n’était pas en état de lui nuire, tant qu’il saurait la garder précieusement cachée dans son sein. L’allusion à des amis puissants, l’offre d’une somme d’argent, n’avait aucune consistance aux yeux de Gride, qui ne voyait là-dedans que des moyens dilatoires ; « et d’ailleurs, se disait-il en jetant un coup d’œil sur Nicolas dont la hardiesse et l’audace le faisaient trembler de colère, quand vous m’offririez de l’argent gros comme vous, monsieur le freluquet, cela ne m’empêcherait pas de prendre cette jolie poulette pour femme, et de vous passer la plume sous le nez, petit blanc-bec. »

La longue habitude qu’avait Gride de peser le pour et le contre de tout ce que lui disaient ses clients, de balancer dans son esprit les chances contraires, de lire sur leur figure pour aider à ses calculs, sans avoir l’air le moins du monde d’y faire attention, lui avait donné la faculté de se décider promptement et de tirer des déductions très habiles des prémisses les plus embarrassantes, les plus embrouillées, souvent même les