Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/325

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disputait : c’est très glorieux pour un vieillard. Il ne s’agit plus après cela que de ne pas la perdre, quand une fois vous l’aurez ; voilà tout.

— Quel homme ! » cria Arthur Gride affectant, au milieu de ses angoisses réelles, de trouver toutes ces plaisanteries extrêmement divertissantes. Puis il ajouta d’un ton inquiet : « C’est cela, il ne faut pas la perdre, voilà tout. Et ce n’est pas bien difficile, n’est-ce pas ?

— Pas bien difficile ! repartit Ralph en ricanant ; comment donc ? mais il n’y a personne qui ne sache combien c’est chose facile de garder et de surveiller une femme. Mais, allons ! il est bientôt temps de célébrer votre bonheur. Voulez-vous me payer le billet ? je suppose que vous serez bien aise de vous épargner ainsi la peine de vous en occuper plus tard.

— Ah ! quel homme ! recommença Arthur avec un nouveau croassement.

— Pourquoi pas ? dit Ralph. Je suppose que personne ne vous en payera l’intérêt d’ici à midi. Qu’en pensez-vous ?

— Mais, reprit l’autre en regardant Ralph avec toute la finesse que pouvait exprimer sa physionomie sournoise, je suppose que vous êtes dans le même cas.

— Allons ! dites plutôt tout de suite, reprit Ralph en frisant sa lèvre avec un sourire moqueur, que vous n’avez pas l’argent sur vous ; que vous ne vous attendiez pas à cette proposition, sans quoi vous n’auriez pas manqué de l’apporter pour satisfaire l’homme du monde que vous êtes le plus disposé à contenter. Je connais tout cela. Nous avons l’un pour l’autre exactement le même degré de confiance. Êtes-vous prêt à partir ? »

Gride, qui pendant cette dernière tirade, n’avait fait que témoigner par des grimaces, des signes de tête et des exclamations marmottées entre ses dents, son admiration pour la perspicacité du maître fourbe, répondit qu’il était prêt, et sortit en même temps de son chapeau une paire de grands nœuds de faveur blanche, attacha l’un sur son cœur avec une épingle, et eut toutes les peines du monde à obtenir que son ami prît l’autre pour en faire autant. Puis, dans ce bel accoutrement, ils montèrent dans le fiacre que Ralph avait fait attendre à la porte, et se firent mener à la résidence de la belle et triste fiancée.

Gride, en approchant de la maison, sentait faillir son courage, mais son esprit abattu fut plus que jamais, en entrant, saisi de crainte et de frayeur, en n’y trouvant partout qu’un silence lugubre. Le seul visage qu’ils aperçurent d’abord, celui de