Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/327

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— Non, on peut être tranquille à présent, répondit Bray. Je l’ai raisonnée ce matin. Tenez, venez un peu par ici. »

Il emmena Ralph Nickleby au bout de la chambre, en lui montrant Gride accroupi dans un coin, s’en prenant dans son agitation nerveuse aux boutons de son habit, et montrant dans la bassesse naturelle de ses traits une expression d’anxiété caduque dont les crispations ajoutaient une nouvelle horreur à sa décrépitude.

« Regardez-moi cet homme, dit Bray à voix basse avec un sentiment de dégoût, et dites-moi si ce n’est pas pourtant une chose bien cruelle !

— Qu’est-ce que vous voyez là de si cruel ? lui demanda Ralph d’un air aussi innocent que s’il ne comprenait rien du tout à l’observation de l’autre.

— Ce mariage, répondit Bray ; pouvez-vous me faire une pareille question ? Ne le savez-vous pas aussi bien que moi ? »

Ralph haussa les épaules, sans faire d’autre réponse à la faiblesse de Bray, releva ses sourcils, et retroussa ses lèvres, comme un homme qui aurait bien des choses à dire là-dessus, mais qui les réserve pour une meilleure occasion, ou qui ne juge pas que l’objection qu’on lui fait mérite l’honneur d’une réponse.

« Regardez-le, je vous dis, répéta Bray, n’est-ce pas bien cruel ?

— Non, répliqua Ralph sans sourciller.

— Eh bien ! moi, je vous dis que si, reprit Bray de plus en plus excité. C’est une chose cruelle, lâche et vile. »

Quand les gens sont sur le point de commettre ou d’autoriser une injustice, il n’est pas rare de les voir alors exprimer quelque pitié pour la victime ; ils croient en cela jouer un rôle de vertu et d’honnêteté qui les relève beaucoup à leurs yeux au-dessus de leurs complices insensibles. C’est une espèce de protestation morale des principes contre les œuvres qui semble les mettre en paix avec leur conscience. Il faut rendre à Ralph cette justice, que ce genre de dissimulation hypocrite n’était pas dans ses habitudes. Mais il savait entrer dans l’esprit de ceux qui la pratiquaient, et il laissa Bray dire et redire à son aise, avec la plus grande véhémence, qu’ils avaient là comploté une chose des plus cruelles, sans lui faire un mot d’objection.

Puis, quand il lui eut laissé jeter son feu : « Est-ce que vous ne voyez pas, lui dit-il, que cet homme-là n’a plus que le souffle ; est-ce que vous ne voyez pas sa peau ratatinée, sèche et flétrie ? S’il était moins vieux, je ne dis pas, ce serait peut-être