Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/33

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mon cher Nicolas, ajouta-t-elle en se tournant vers lui d’un air moins contraint qu’auparavant, et le nom de votre ami, vous ne me l’avez pas dit ?

— Son nom, ma mère ? c’est Smike. »

Personne ne pouvait prévoir l’effet de cette réponse toute simple ; mais Mme Nickleby n’eut pas plutôt entendu prononcer ce nom, qu’elle se laissa tomber sur sa chaise, et se mit à pleurer sans rime ni raison.

« Qu’avez-vous ? s’écria Nicolas se précipitant vers elle pour la soutenir.

— Ah ! cela ressemble à Pyke, cria Mme Nickleby ; cela ressemble tout à fait à Pyke. Ah ! qu’on ne me parle pas… je vais être mieux, je le sens. »

Là-dessus, elle n’oublia aucun des symptômes de la pâmoison dans toutes ses phases ; puis, se faisant verser un grand verre d’eau dont elle prit la valeur d’une cuiller à bouche, et dont elle jeta le reste, Mme Nickleby se trouva mieux, et s’excusa avec un sourire languissant d’être si enfant ; mais elle ne pouvait pas s’en empêcher.

« C’est un mal de famille, dit Mme Nickleby ; il ne faut donc pas m’en vouloir de ma sensibilité. Votre grand’maman, Catherine, était exactement de même, mais tout à fait de même : la moindre émotion, la plus légère surprise, et elle se trouvait mal sur-le-champ. Je lui ai entendu dire et redire, que du temps qu’elle était demoiselle, avant son mariage, elle tournait un jour le coin de la rue d’Oxford, lorsqu’elle se heurta contre son coiffeur, qui se sauvait de la poursuite d’un ours… ou bien, attendez, c’était peut-être l’ours qui se sauvait de la poursuite du coiffeur. Enfin, je n’en sais plus rien, mais ce que je sais bien, c’est que le coiffeur était un très joli homme, et qui avait même les manières très élégantes, ce qui du reste ne fait rien à l’affaire. »

Mme Nickleby, une fois lancée, sans s’en apercevoir, dans ses accès d’humeur rétrospective, devint plus traitable à partir de ce moment, et, par des transitions faciles dans la conversation, passa à une foule d’autres anecdotes qui n’étaient pas moins bien appropriées au sujet.

« Monsieur Smike est du Yorkshire, n’est-ce pas, mon cher Nicolas ? dit-elle après le dîner, reprenant la parole après une assez longue pause.

— C’est bien cela, ma mère, répondit Nicolas ; je vois que vous n’avez pas oublié sa triste histoire.

— Ô Dieu ! non, cria Mme Nickleby. Certes, oui, une triste histoire ! vous avez bien raison… Vous n’avez jamais eu l’occa-