Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/334

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la jeune fille, privée de sentiment, l’emporta de la chambre à l’étage inférieur, dans le salon qu’il venait de quitter, suivi de la fidèle servante, qu’il envoya chercher immédiatement une voiture, pendant que Catherine et lui, courbés sur leur belle pupille, essayaient en vain de la rappeler à elle. Grâce à la diligence de la servante, la voiture fut à la porte en quelques minutes.

Ralph Nickleby et Gride, pétrifiés et comme paralysés par l’horrible accident qui venait de renverser si soudainement tous leurs plans, le seul point par lequel ils y fussent sensibles, subjugués d’ailleurs par l’énergie et la précipitation extraordinaires de Nicolas, qui ne connaissait pas d’obstacle, regardaient passer cette fantasmagorie comme un songe. Ce ne fut que lorsque tout fut prêt pour entraîner à l’instant Madeleine, que Ralph rompit le silence en déclarant qu’il ne la laisserait pas emmener.

« Qu’est-ce qui a dit cela ? cria Nicolas en se relevant des genoux de Madeleine pour le regarder en face, sans quitter la main de la jeune fille encore sans mouvement.

— Moi ! répondit Ralph d’une voix enrouée.

— Chut ! chut ! cria Gride dans son effroi, en s’accrochant toujours à son bras ; laissez-le parler.

— Oui, dit Nicolas étendant en l’air le bras qu’il avait de libre, laissez-moi parler ; laissez-moi vous dire que vos créances à tous deux sont absorbées dans celle que vient d’exiger la nature, plus puissante que vous ; que le billet payable à midi n’est plus qu’un chiffon de papier sans valeur ; que vos intrigues frauduleuses vont apparaître au grand jour ; que vos complots sont connus des hommes et condamnés de Dieu ; que vous êtes des misérables et que je me ris de votre colère.

— Voilà un homme, dit Ralph d’une voix à peine intelligible, voilà un homme qui réclame sa femme, et il l’aura.

— Cet homme qui la réclame, réclame ce qui ne lui appartient pas ; et il y aurait là cinquante hommes comme vous pour le soutenir, que je vous dis qu’il ne l’aura pas.

— Et qui l’en empêchera ?

— Moi.

— Je voudrais bien un peu savoir de quel droit ? dit Ralph, de quel droit, s’il vous plaît ?

— De quel droit ? le voici, pour que vous n’y reveniez plus : C’est que ceux dont je sers la cause, et près desquels vous avez voulu me desservir par de viles calomnies, sont ses meilleur et ses plus chers amis ; c’est en leur nom que je l’emmène : rangez-vous.