Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/336

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CHAPITRE XXIII.

Affaires de famille, soucis, espérances, désappointements et chagrins.

Quoique Nicolas et sa sœur eussent mis Mme Nickleby au courant de tous les détails qu’ils pouvaient connaître de l’histoire de Madeleine Bray ; quoiqu’on lui eût bien expliqué la responsabilité particulière de son fils dans cette affaire, et qu’on l’eût même préparée d’avance à la possibilité qu’elle eût à recevoir chez elle cette jeune demoiselle, tout improbable que dût paraître la chose quelques minutes encore avant l’événement ; cependant, depuis le moment où elle avait reçu cette confidence, la veille au soir, elle était restée absorbée dans un état de déplaisir et de profonde mystification, contre lequel venaient échouer toutes les représentations et les raisonnements, et qui ne fit que s’aggraver de plus en plus à chaque monologue, à chaque réflexion nouvelle.

« Mais, au nom du ciel, Catherine, disait la bonne dame, si les MM. Cheeryble ne veulent pas qu’on marie cette fille, pourquoi ne font-ils pas passer un bill contre le lord chancelier ? pourquoi ne pas constituer à la demoiselle une protection juridique ? pourquoi ne pas l’enfermer provisoirement en prison pour plus de sûreté ?… J’en ai vu cent fois des exemples dans le journal… Ou s’il est vrai qu’ils l’aiment autant que le dit Nicolas, pourquoi ne l’épousent-ils pas eux-mêmes… l’un d’eux seulement, bien entendu ? Et même, en supposant que, tout en voulant empêcher ce mariage, ils ne veuillent pas l’épouser eux-mêmes, pourquoi, je vous prie, faire de Nicolas un chevalier errant occupé à courir le monde, pour faire rompre les bans des gens ?

— Je crains, chère maman, répondit doucement Catherine, que vous ne compreniez pas bien la situation.

— Bien ! ma fille, grand merci de votre politesse, répliquait Mme Nickleby ; il me semble pourtant que j’ai été mariée moi-même, et que j’en ai vu marier d’autres. Ah ! je ne comprends pas ! à la bonne heure !

— Je sais bien, chère maman, reprenait Catherine, que vous avez acquis une grande expérience, et ne la mets pas en doute ; je veux dire seulement que, peut-être dans cette affaire, vous ne comprenez pas parfaitement toutes les circonstances ; et c’est