Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/346

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« Je suis tout troublé de ce que vous me dites là, dit-il après un moment de réflexion, quoique j’aime à croire encore que vous vous trompez.

— Je ne vois pas pourquoi vous aimeriez à le croire, dit Mme Nickleby ; je vous avoue que cela me surprend ; mais, dans tous les cas, vous pouvez compter que je ne me trompe pas.

— Et Catherine ?

— Ah ! pour cela, c’est justement, mon cher, le point sur lequel je ne suis pas encore fixée. Pendant cette maladie de Madeleine, elle n’a presque pas quitté son chevet. Jamais on n’a vu deux personnes s’attacher si vivement l’une à l’autre ; et puis, je vais vous l’avouer, Nicolas, je l’ai tenue de temps en temps un peu à l’écart, parce que c’est, selon moi, un excellent moyen pour garder un jeune homme en haleine. Il ne faut pas qu’il soit trop sûr de son fait, vous sentez. »

La pauvre mère disait tout cela avec un tel mélange de joie du cœur et de satisfaction d’amour-propre, qu’on ne saurait dire la peine qu’éprouvait Nicolas d’être obligé de briser ses espérances. Mais il sentait que l’honneur ne lui laissait pas le choix, et que son devoir le commandait impérieusement.

« Ma chère mère, lui dit-il avec douceur, ne voyez-vous pas que, si M. Frank avait en effet une inclination sérieuse pour Catherine, et que nous eussions la faiblesse de l’encourager, nous ferions là une action malhonnête, et que nous jouerions un rôle plein d’ingratitude ? En vous demandant si vous ne le voyez pas, je ne sens que trop qu’en effet vous n’y avez pas pensé ; autrement, vous y auriez mis plus de réserve. Permettez-moi de vous expliquer ma pensée. Vous savez combien nous sommes pauvres. »

Mme Nickleby secoua la tête en disant, à travers ses larmes, que pauvreté n’est pas vice.

« Non, dit Nicolas, et c’est pour cela même qu’il faut puiser dans notre pauvreté un noble orgueil qui nous défende contre toute tentation d’actions mauvaises, contraires à la délicatesse, et nous laisse ce respect de nous-mêmes que l’indigent peut garder à l’égal du plus fier monarque. Songez à tout ce que nous devons aux frères Cheeryble ; rappelez-vous ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font tous les jours pour nous avec une générosité et une délicatesse que nous ne payerions pas assez du sacrifice de notre vie même. La belle récompense, pour reconnaître leurs bienfaits, que de permettre à leur neveu, leur unique parent, on peut dire leur fils, pour lequel il serait insensé de supposer qu’ils n’ont pas formé déjà des plans d’établissement dignes de son éducation et de la fortune dont il doit hériter un jour ; de lui