Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/35

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tout s’il ne devait jamais, comme il en avait l’intime conviction, s’élever à une grande distinction même en province ; mais encore il faudrait donc qu’il traînât sa sœur de ville en ville, de foire en foire. Quelle autre société pourrait-il lui donner que celles des gens avec lesquels il serait obligé de se mêler presque sans choix ? « Non, dit Nicolas, c’est impossible, il faut nécessairement que je prenne un autre parti. »

C’était facile à dire, ce n’était pas facile à faire, avec aussi peu d’expérience du monde qu’il en avait pu gagner dans ses épreuves pénibles mais courtes, avec une bonne dose de confiance téméraire et de précipitation juvénile, et une très petite somme d’argent devant lui. Pas bien riche d’argent, mais plus pauvre encore d’amis, qu’allait-il devenir ? « Parbleu ! dit Nicolas, je vais retourner à mon bureau de placement. »

Il ne pouvait s’empêcher de rire en lui-même de voir avec quelle ardeur il se mit en marche pour l’accomplissement d’un dessein dont il blâmait intérieurement tout à l’heure la précipitation. Mais il n’en allait pas moins droit à son but, se figurant, à mesure qu’il approchait du bureau, toute espèce de chances brillantes ou d’impossibilités absolues, et se disant, peut-être avec raison, que c’était un grand bonheur pour lui que ce tempérament impétueux et bouillant qu’il avait reçu de la nature.

Le bureau paraissait exactement dans le même état que la dernière fois qu’il y était allé, et même, à deux ou trois exceptions près, il y reconnut les mêmes écriteaux à la fenêtre. C’étaient toujours les mêmes maîtres et les mêmes maîtresses respectables qui demandaient toujours des domestiques également vertueux ; c’étaient les mêmes domestiques vertueux qui demandaient toujours des maîtres ou des maîtresses également respectables. C’étaient les mêmes terres magnifiques qui sollicitaient un placement de capitaux ; c’étaient les mêmes capitaux incalculables qui cherchaient des terres pour garantir un bon placement : en un mot, c’était toujours la même profusion d’occasions excellentes offertes à tous les gens qui voulaient faire fortune. Et la preuve la plus éclatante de la prospérité nationale, c’est que, depuis si longtemps, il ne s’était encore présenté personne pour saisir au vol des avantages si précieux.

Quand Nicolas s’arrêta devant la croisée pour y lire les annonces, le hasard voulut qu’un vieux gentleman en fît autant ; et Nicolas, en les parcourant des yeux de droite à gauche, pour y découvrir quelque placard intéressant en grosses capitales, rencontra l’inconnu, dont l’extérieur provoqua sa curiosité et