Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/36

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lui fit un moment suspendre ses recherches pour l’examiner de plus près.

C’était un gros bel homme de bonne mine, portant un habit bleu à larges pans, ample et aisé, sans taille, pour ainsi dire, pour plus de commodité. Une culotte courte et de grandes guêtres sur ses jambes robustes ; sur la tête un chapeau blanc, bas de forme, à larges bords, comme en porte un riche campagnard. Il avait son habit boutonné. Son double menton, avec ses nombreuses fossettes, s’étalait à l’aise dans les plis d’une cravate blanche, non pas une de vos cravates apoplectiques, toutes roides d’empois, mais une de ces bonnes, vastes cravates blanches du temps jadis, avec lesquelles on pouvait aller se coucher sans crainte de s’étrangler. Mais ce qui attira principalement l’attention de Nicolas, c’était l’œil de ce brave homme, un œil clair, scintillant, honnête, un œil heureux et content. Il était donc planté là, debout, le nez en l’air, une main dans le revers de son habit, l’autre jouant avec sa chaîne de montre en or, contemporaine de sa jeunesse ; la tête un peu de côté, et le chapeau encore plus de côté que la tête, mais ce n’était que par accident ; on voyait bien que ce n’était pas sa posture habituelle ; le tout relevé d’un sourire agréable qui se jouait autour de ses lèvres, avec une expression comique de finesse, de simplicité, de bonté, de bonne humeur, tout ensemble confondu dans la physionomie vive et enjouée de ce vieillard appétissant. Aussi Nicolas serait resté là à le regarder jusqu’à demain, oubliant volontiers toutes les mines revêches et les visages bourrus qui ne sont pas rares sous la calotte des cieux.

Mais il n’eut pas le temps de prolonger beaucoup son plaisir, car l’étranger, sans avoir l’air de se douter qu’il fût devenu l’objet du regard observateur de Nicolas, jeta par hasard les yeux sur lui, ce qui lui fit naturellement ramener les siens vers les séductions des affiches collées à la fenêtre, pour ne pas le blesser par une curiosité indiscrète.

Cependant le gentleman ne bougeait pas de là, laissant errer ses yeux d’un placard à l’autre, sans que Nicolas osât lever la tête pour le considérer davantage. Sous ces dehors singuliers et bizarres, c’était plaisir de voir l’air le plus avenant du monde ; il semblait que tout parlât en sa faveur ; c’était un de ces portraits où les lumières, habilement distribuées par l’artiste dans le coin de la bouche et dans le pli des yeux, ne piquent pas seulement l’intérêt du spectateur, mais lui font aimer le modèle en personne.

Cela posé, vous ne serez pas surpris que Nicolas se donnât le