Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/380

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tout le plaisir que vous me faites. J’aimerais à vous entendre dire que vous vous trouvez heureux, si c’est possible.

— Il faut que je vous dise avant quelque chose. Je ne dois pas avoir de secret pour vous. Je sais bien d’ailleurs que, dans un moment comme celui-ci, vous ne m’en voudrez pas.

— Moi, vous en vouloir ! s’écria Nicolas.

— Non, je sais bien que cela n’est pas possible. Vous m’avez demandé quelquefois la raison de mon changement d’humeur, pourquoi je restais seul si souvent. Voulez-vous que je vous dise pourquoi ?

— Si cela vous coûte à me dire, je n’y tiens pas du tout, dit Nicolas. Quand je vous le demandais, c’était pour essayer de vous rendre plus heureux, si la chose était en mon pouvoir.

— Je le sais : je n’en doutais pas. »

Il attira son ami près de son sein. « Vous me pardonnerez, n’est-ce pas ? ce n’était pas ma faute, c’était plus fort que moi ; j’aurais volontiers donné ma vie pour elle, mais mon pauvre cœur se brisait quand je voyais… je sais qu’il l’aime tendrement… qui donc pouvait le deviner avant moi ? »

Les mots qui suivirent furent prononcés d’une voix faible et défaillante, entrecoupée de longs repos. Mais ils apprirent à Nicolas, pour la première fois, que son ami mourant nourrissait, avec toute l’ardeur d’une nature aimante concentrée sur un seul objet, une passion secrète, un amour sans espoir pour Catherine, sa sœur.

Il avait recueilli une boucle de ses cheveux qu’il avait suspendue sur sa poitrine à quelque bout de ruban qu’elle avait porté. Il adressa à Nicolas une prière : c’était qu’après sa mort, il la retirât, pour que d’autres yeux ne pussent la voir, mais qu’au moment où on le déposerait dans sa bière pour le porter en terre, il la replaçât fidèlement autour de son cou, afin qu’elle reposât à jamais avec lui dans le tombeau.

Nicolas le lui promit à genoux, il lui renouvela aussi la promesse qu’il serait enseveli à la place qu’il avait désignée lui-même. Ils s’élancèrent dans les bras l’un de l’autre et se donnèrent un baiser sur la joue.

« Eh bien ! oui, à présent, murmura-t-il, je suis heureux. »

Il retomba dans un sommeil léger, s’éveilla encore une fois avec un sourire, parla de beaux jardins qui s’étendaient au loin devant lui, remplis de figures célestes d’hommes, de femmes, surtout d’enfants, tout brillants et lumineux, puis il murmura à voix basse le nom d’Éden, et mourut.