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CHAPITRE XVII.

La conjuration commence à tourner mal ; la crainte du danger qui se montre entre dans l’âme du chef des conjurés.

Ralph était assis tout seul dans la chambre solitaire où il avait coutume de prendre ses repas et de passer la soirée, quand des occupations lucratives ne l’appelaient pas dehors. Devant lui était servi son déjeuner intact. Sa montre était sur la table où ses doigts battaient la mesure dans un mouvement convulsif. L’aiguille avait depuis longtemps passé l’heure, où depuis des années, il avait l’habitude de la remettre dans son gousset pour descendre l’escalier d’un pas régulier, pour aller vaquer à ses affaires du jour ; mais elle avait beau l’avertir de son tic tac monotone, il n’y faisait pas plus attention qu’aux mets ou au carafon qui l’invitaient à manger et à boire ; il restait là, la tête appuyée sur sa main, et les yeux fixés tristement sur le parquet.

Pour se départir ainsi de ses habitudes constantes et invariables, lui qui était la régularité et la ponctualité mêmes dans la pratique régulière des affaires dont la richesse était toujours le but, il fallait bien que l’usurier ne fût pas dans son assiette ordinaire. Il fallait qu’il fût sous l’influence de quelque maladie de l’esprit ou du corps, et qu’elle fût bien sérieuse pour agir sur un homme comme lui. Au reste, on le voyait assez à sa figure égarée, son air abattu, ses yeux creux et languissants. Il les leva pourtant à la fin pour jeter autour de lui un regard vif et rapide, comme un homme qui s’éveille en sursaut et n’a pas encore eu le temps de se reconnaître.

« Qu’est-ce que j’ai donc là, dit-il, qui m’oppresse sans que je puisse m’en débarrasser ? Je ne suis pourtant pas douillet, et je ne me sens pas malade. Je ne suis pourtant pas un homme à faire des grimaces et des hélas, ou à me nourrir de chimères. Mais que voulez-vous qu’on fasse quand on n’a pas de repos ? »

Il pressa son front de sa main.

« Les nuits passent et se succèdent sans que je puisse avoir de repos. Si je m’endors, qu’est-ce que c’est qu’un sommeil troublé par des rêves obstinés qui font toujours passer sous mes yeux un tas de personnages odieux, les mêmes figures