Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/385

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qui m’amène près de vous. Laissez-moi, je vous prie, vous en donner la preuve.

— Moi, repartit Ralph avec un sourire triomphant, je ne me pique pas de charité pour les autres, et je n’en attends de personne. N’en attendez pas non plus de moi, monsieur, pour le drôle qui en a imposé à votre crédulité enfantine ; il n’aura de moi que la haine.

— Qui ? lui ? implorer votre charité ! s’écria le vieux négociant avec chaleur, c’est à vous à implorer la sienne, monsieur, c’est plutôt à vous. Si vous ne voulez pas m’entendre, à présent que vous le pouvez encore, il faudra bien que vous m’entendiez plus tard, à moins que vous ne preniez les devants sur ce que j’ai à vous dire, et que vous ne vous arrangiez pour que nous n’ayons plus besoin de nous revoir jamais. Votre neveu est un noble jeune homme, monsieur, un honnête et brave jeune homme. Ce que vous êtes, vous, monsieur Nickleby, je ne veux pas vous le dire, mais ce que vous avez fait, je le sais. Maintenant, monsieur, quand vous sortirez pour l’affaire où vous vous êtes dernièrement engagé, et que vous trouverez des difficultés d’exécution qui vous embarrasseront, venez me trouver, monsieur, moi, mon frère et Tim Linkinwater. Alors nous vous expliquerons tout. Mais venez promptement, car après il pourrait bien être trop tard, et on pourrait vous l’expliquer avec plus de dureté et un peu moins de délicatesse : et surtout rappelez-vous, monsieur, que si je suis venu vous trouver ce matin, c’est par charité pour vous, et que je suis encore dans les mêmes dispositions, quand vous voudrez m’entendre. »

Après avoir prononcé ces mots avec beaucoup de gravité et d’émotion, le frère Charles mit sur sa tête son couvre-chef à larges bords, et, passant devant Ralph Nickleby sans rien ajouter, gagna lestement la porte et sortit. Ralph le regarda partir sans bouger, sans rien dire pendant quelque temps, et ne sortit de cette espèce de stupéfaction silencieuse que par un éclat de rire méprisant.

« Ne serait-ce pas encore, dit-il, un de ces rêves absurdes qui ont troublé mon sommeil toutes ces nuits-ci !… Par charité pour moi !… Ouf ! il faut que le vieil imbécile soit devenu fou. »

Malgré cela, tout en s’exprimant sur le ton de la dérision et du mépris, il était évident que, plus Ralph réfléchissait à la chose, plus il se sentait mal à son aise, plus il était en proie à une anxiété vague et craintive qui allait toujours croissant, à