Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/39

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et surtout ne croyez pas que ce soit une sotte curiosité ; non, non. »

Il y avait dans son langage un entrain si bienveillant, un mépris si complet de toutes ces réserves de convention froides et compassées, que Nicolas ne put résister à cet appel. Entre gens qui ont des qualités de cœur franches et solides, il n’y a rien qui se gagne comme la confiance et le besoin d’un épanchement réciproque. Nicolas s’y abandonna avec effusion. Il n’oublia dans son récit aucun des points importants à connaître ; il ne supprima que les noms, et glissa le plus légèrement qu’il lui fut possible sur les torts de son oncle avec Catherine. Le bon vieillard l’écoutait avec une attention soutenue, et, quand il eut fini, lui prit le bras sous son bras.

« Pas un mot de plus, pas un mot. Venez avec moi : nous n’avons pas une minute à perdre. »

En même temps, il le ramenait dans la rue d’Oxford, arrêtait un omnibus, y poussait Nicolas et montait derrière lui.

Comme il paraissait dans un état extraordinaire d’émotion et de trouble, et qu’il fermait la bouche à Nicolas, chaque fois qu’il allait parler, en lui répétant : « Pas un mot de plus, mon cher monsieur, pour rien au monde, pas un mot de plus, » Nicolas crut devoir renoncer à toute explication. Ils firent donc le voyage de la Cité sans échanger une parole ; et, plus ils avançaient, plus Nicolas était embarrassé de deviner comment il finirait l’aventure.

Une fois devant la Banque, le vieux gentleman descendit avec la même vivacité, et reprenant le bras de Nicolas, l’entraîna par la rue de Threadneedle, tourna des ruelles, enfila des passages à droite, tant qu’enfin ils aboutirent à un petit square frais et tranquille. Il le mena droit à une maison de commerce la plus propre quoique la plus antique de toute la place ; la porte n’avait pas d’autre inscription que ces mots : Cheeryble frères. Mais un coup d’œil rapide jeté par Nicolas sur des ballots déposés près de là lui fit supposer que les frères Cheeryble étaient des négociants allemands.

Là, traversant un magasin qui présentait l’apparence d’un commerce actif et prospère, M. Cheeryble, car Nicolas n’hésita pas à lui donner ce titre en voyant le respect que lui témoignaient sur son passage les employés et les commissionnaires, le conduisit dans un petit comptoir formé par des cloisons vitrées, une espèce de cage de verre, où l’on voyait assis tout frais et tout propret, comme si on l’y avait renfermé dans le temps, avant d’en poser le couvercle, sans qu’il en fût jamais