Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/410

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CHAPITRE XXIX.

Où Nicolas et sa sœur se conduisent de manière à déchoir dans l’estime de tous les gens du monde et de ce qu’on appelle les personnes sensées.

Le lendemain des révélations de Brooker, Nicolas retourna chez lui. Sa première entrevue avec sa famille fut agitée par bien des émotions de part et d’autre, car il les avait tenus au courant, dans ses lettres, de ce qui s’était passé, et, outre qu’ils partageaient naturellement ses chagrins, ils pleuraient tous comme lui la perte d’un jeune homme dont la misère et l’abandon avaient été son premier titre à leur compassion, mais que sa candeur et sa reconnaissance leur avaient rendu plus cher de jour en jour.

« Assurément, dit Mme Nickleby en s’essuyant les yeux et en poussant des sanglots amers, je puis dire que j’ai perdu la meilleure, la plus zélée, la plus obligeante créature du monde, celle dont j’ai reçu les soins les plus attentifs de toute ma vie, après vous, Nicolas et Catherine, et votre pauvre papa, et cette coquine de bonne qui est partie en emportant mon linge… et les douze petites fourchettes, cela va sans dire. C’était bien l’être le plus facile, le plus égal, le plus attaché, le plus fidèle. Comment ferai-je maintenant pour reposer mes yeux sur ce jardin qu’il mettait son orgueil à embellir pour moi, ou pour entrer dans sa chambre pleine de toutes ces petites inventions qu’il se plaisait à imaginer pour nous faire plaisir, et où il réussissait si bien ? Il ne se doutait guère qu’il les laisserait là encore imparfaites. Non, en vérité, je ne puis pas me résigner à cette idée. Ah ! c’est un grand chagrin pour moi, un grand chagrin. Au moins, mon cher Nicolas, ce sera pour vous une consolation, jusqu’à la fin de vos jours, de vous rappeler combien vous avez toujours été bon et aimable pour lui, et la mienne sera de penser que nous étions aussi en d’excellents termes ensemble, et qu’il m’aimait beaucoup ; le pauvre garçon. Votre attachement pour lui, mon cher, était bien naturel et bien profond : c’est un terrible coup pour vous. Il n’y a qu’à voir comme vous êtes changé pour le comprendre. Mais moi, personne ne peut deviner ce que j’éprouve, non, personne, c’est tout à fait impossible. »

Pendant que Mme Nickleby exprimait ainsi, en toute sincérité