Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/419

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instance d’éloigner cette demoiselle que vous aviez confiée à ma mère et à ma sœur, et de le faire sans délai. Je sais que vous ou tout autre personne que moi, mais vous surtout, en considérant l’immense distance qui me sépare de cette jeune demoiselle, votre pupille et l’objet de votre intérêt particulier, vous ne pouvez regarder mon amour pour elle, même en pensée, que comme le comble de l’audace et de la témérité. Je le reconnais. Mais aussi qui pourrait l’avoir vue, savoir tous ses malheurs et son courage comme moi, et ne pas l’aimer ? Je n’ai pas d’autre excuse. Et, comme je ne me sens pas la force d’échapper à cette tentation, ni de réprimer ma passion, si l’objet en reste toujours sous mes yeux, que puis-je faire de mieux que de venir vous prier et vous supplier de l’éloigner, pour me laisser les moyens de l’oublier, si je puis ?

— Monsieur Nickleby, dit le frère Charles après un moment de silence, on ne peut pas vous demander davantage. C’est moi qui ai eu tort de mettre un jeune homme de votre âge à cette épreuve. J’aurais dû prévoir ce qui arrive. Merci ! monsieur, merci ! On éloignera Madeleine.

— J’aurais encore une grâce à vous demander, monsieur et cher protecteur ; pour lui permettre de ne se rappeler mon nom qu’avec estime, c’est de ne lui révéler jamais l’aveu que je viens de vous faire.

— Je n’y manquerai pas. Et maintenant est-ce là tout ce que vous aviez à me dire ?

— Non ! répondit Nicolas en levant vers lui les yeux, ce n’est pas tout.

— C’est bon ! je sais le reste, dit M. Cheeryble, très visiblement satisfait de cette prompte réplique.

— Quand est-ce que vous en avez eu connaissance ?

— Ce matin, à mon retour.

— Vous avez donc cru de votre devoir de venir immédiatement me dire ce que vous teniez apparemment de votre sœur ?

— Oui, monsieur, quoique je vous avoue que j’eusse été bien aise de m’en expliquer d’abord avec M. Frank.

— Frank est venu chez moi hier au soir, répliqua le vieux gentleman : vous avez bien fait, monsieur Nickleby, très bien fait, et je vous en remercie de nouveau, monsieur. »

Nicolas demanda la permission d’ajouter quelques mots sur ce chapitre. Il espérait qu’il n’y avait rien dans ce qu’il avait dit qui dût amener une rupture dans l’amitié de Catherine et de Madeleine, unies désormais par un attachement si tendre que