Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/42

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ce n’était pas seulement avec cette bonhomie parfaite que donne une grande sérénité d’âme : on aurait dit qu’au banquet où les avait conviés la fortune, ils avaient choisi, dans le pudding servi sur leur table, les raisins de Corinthe les plus sucrés pour en garder dans leur bouche quelques grains qui donnaient plus de douceur à leur parole.

« Où est Tim Linkinwater ? dit le frère Ned.

— Un moment, un moment, dit le frère Charles en prenant l’autre à part. J’ai une idée, mon cher frère ; j’ai une idée ; voilà que Tim se fait vieux, et Tim a toujours été un serviteur fidèle ; et je ne crois pas que d’attendre la mort du pauvre garçon, pour lui élever un petit tombeau de famille et donner une pension à son père et à sa mère, ce fût une récompense suffisante pour ses bons et loyaux services.

— Non, non, répliqua l’autre, certainement non. Nous n’aurions pas fait la moitié de notre devoir.

— Eh bien ! si nous pouvions alléger sa besogne et le décider à aller de temps en temps coucher et prendre l’air à la campagne, ne fût-ce que deux ou trois fois la semaine (et cela serait facile, s’il voulait seulement venir à son travail une heure plus tard le matin), le vieux Tim Linkinwater rajeunirait, j’en suis sûr, et vous savez qu’il a trois bonnes années de plus que nous… Voyez-vous cela, frère Ned ? Hein ? le vieux Tim Linkinwater rajeuni ! dame ! je me rappelle avoir vu le vieux Tim Linkinwater petit garçon comme nous ! Ha ! ha ! ha ! le pauvre Tim ! »

Et les bons vieux camarades se mirent à rire ensemble aux éclats, tous deux la larme à l’œil, en pensant au vieux Tim Linkinwater.

« Mais écoutez d’abord, frère Ned, dit l’autre avec chaleur, en s’asseyant ainsi que son frère, avec Nicolas au milieu d’eux, je m’en vais vous conter tout cela moi-même, parce que le jeune homme est modeste et bien élevé, Ned ; et je ne voudrais pas lui faire recommencer son histoire tout du long, comme si c’était un mendiant, ou que nous eussions l’air de mettre en doute sa véracité. Non, non, ce ne serait pas bien.

— Non, non, répéta le frère Ned avec un signe de tête plein de gravité ; vous avez raison, mon cher frère, vous avez raison.

— C’est donc moi qui vais parler à sa place ; il me reprendra si je me trompe ; en attendant, vous verrez, frère Ned, et vous en serez touché, que son histoire nous rappelle la nôtre quand nous sommes venus tous deux, jeunes et sans amis, gagner notre premier schelling dans cette grande cité. »

Les deux jumeaux se serrèrent la main en silence, et le frère Charles raconta,