Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/421

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voyant reprendre avec lui leur air de bonté habituel, quoiqu’il crût y démêler je ne sais quoi d’extraordinaire, qui sentait la gêne, l’incertitude, le trouble.


CHAPITRE XXX.

Ralph donne un dernier rendez-vous, et n’y manque pas.

Ralph Nickleby se glissa donc à tâtons hors de la maison des frère Cheeryble, et s’esquiva comme un voleur. Une fois dans la rue, il commença par marcher, les mains en avant, semblable à un aveugle qui cherche son chemin, regardant souvent par-dessus son épaule, comme s’il était poursuivi en imagination ou en réalité par quelque indiscret dont les questions l’importunent et qui veut le retenir malgré lui. C’est ainsi qu’il tourna le dos à la Cité et se mit en route pour retourner chez lui.

La nuit était sombre ; le vent âpre et froid chassait devant lui avec rage les nuages rapides. Mais il y en avait un, tout noir, une masse lugubre qui semblait suivre Nickleby. Au lieu de se mêler à la chasse impétueuse dans laquelle les autres étaient entraînés, celui-là se traînait tristement par derrière et glissait plutôt qu’il ne courait, comme une ombre furtive. Ralph se retournait souvent pour le regarder, et, plus d’une fois, il s’arrêta pour le laisser passer devant, mais il avait beau faire, chaque fois qu’il recommençait sa marche, l’autre se retrouvait derrière lui, avançant lentement, lugubrement, comme un enterrement.

Il avait à passer par un pauvre petit cimetière, — un méchant terrain, élevé seulement de quelques pieds au-dessus du niveau de la rue dont il n’était séparé que par un parapet très bas, surmonté d’une grille en fer : lieu fétide, malsain, dégoûtant, où il n’y avait pas jusqu’au gazon de chiendent qui ne semblât dire, par ses touffes maigres et chétives, qu’il ne tenait sa nourriture que du corps des pauvres diables enterrés là, et qu’il poussait ses racines dans la bière de misérables accoutumés à pourrir, dès leur vivant, dans des cours humides et dans des taudis d’ivrognes affamés. Ci-gisent, on peut bien le dire, ces morts de bas étage, séparés des vivants par une pelletée de terre et quatre planches, bien drus, bien serrés les uns contre les autres, à tout touche, associant la corruption de leurs cadavres, comme