Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/424

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Une simple goutte d’eau paisible dans une mer en furie. Sa haine contre Nicolas s’était accrue de sa propre défaite, nourrie de la hardiesse du téméraire à contrecarrer ses desseins, grossis de ses défis et surtout de son succès. Que de raisons pour le porter à son paroxysme, qu’elle avait fini par atteindre graduellement et par un progrès constant ! C’était devenu comme une véritable folie. Quoi ! c’était lui, Nicolas, lui seul qui avait été la planche de salut de son misérable enfant, son enfant à lui, Nickleby ! C’était lui qui avait été son protecteur et son ami fidèle ; c’était lui qui lui avait fait connaître cette tendresse et cet amour dont il avait été sevré dès sa naissance ; c’était lui qui lui avait appris à haïr son propre père, à exécrer jusqu’à son nom ! C’était lui qui en savourait le souvenir et le bonheur, au milieu de son triomphe insolent, pendant que le cœur de l’usurier ne pouvait plus se repaître que de fiel et de couleuvres amères. L’affection mutuelle du mourant et de Nicolas entrelacés était pour lui une insupportable agonie. Le tableau de son lit de mort, de Nicolas à ses côtés, le soignant, le servant, pendant que l’autre le remerciait de sa voix éteinte et rendait le dernier soupir dans ses bras, lorsqu’au contraire lui, le père, son rêve aurait été d’en faire de mortels ennemis et de souffler sa haine héréditaire à son enfant, tout cela lui donnait des attaques de frénésie. Il grinçait des dents, il agitait ses bras dans le vide, il regardait autour de lui d’un air égaré, avec des yeux qui étincelaient à travers les ténèbres.

« C’en est fait, s’écria-t-il, je suis écrasé, ruiné. Le misérable me l’avait bien dit : La nuit commence ! Quoi ! il n’y a pas moyen de leur ravir leur triomphe, de braver leur pitié, leur cruelle compassion. Quoi ! le diable ne viendra pas à mon aide ! »

Aussitôt, voilà que l’image qu’il avait évoquée ce soir, en passant au cimetière, revient lui trotter dans la tête. Il la voyait là gisant devant lui. Elle avait la tête couverte, telle que la première fois qu’il avait vu le corps. C’étaient bien aussi ses pieds roides, crispés, marbrés. Et puis, après cela, les parents du défunt venant, tout tremblants, raconter la chose au jury, les cris de douleur des femmes, le silence morne des hommes, la consternation, l’agitation, le trouble, la victoire remportée sur le monde par ce morceau d’argile qui, en un tour de main, en avait fini avec la vie et laissé derrière lui tout ce remue-ménage.

Il ne dit plus un mot, resta un moment, sortit de la chambre, grimpa doucement l’escalier sonore, monta en haut, tout en haut, jusqu’au grenier sur le devant, ferma la porte derrière lui et s’arrêta.