Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/434

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avait toujours la parole en main. Voilà toute cette jeunesse heureuse, monsieur !

— C’est égal, vous n’avez pas pu y tenir : vous ne les avez pas fait languir aussi longtemps que vous l’aviez dit, répondit Timothée d’un air goguenard. Vous deviez tant, selon vous, garder M. Nickleby et M. Frank dans votre cabinet, je ne sais pas combien d’heures, et leur dire je ne sais pas combien de choses avant d’en venir au fait !

— Là ! a-t-on jamais vu un vilain homme comme ce Timothée ? Je vous le demande, frère Ned, a-t-on jamais vu son pareil ? Ne voilà-t-il pas qu’il m’accuse d’impatience. Cela lui va bien, à lui qui n’a pas cessé de nous ennuyer du matin jusqu’au soir, et de nous persécuter pour lui permettre d’aller leur vendre la mèche, avant que nous eussions dressé toutes nos batteries ni arrangé un seul mariage. Ah ! le vilain traître !

— Vous avez bien raison, frère Charles, répliqua Ned, Timothée n’est qu’un vilain traître. Tenez ! voulez-vous que je vous dise, c’est de plus un jeune fou. Il n’a ni gravité ni caractère. Que voulez-vous ? il faut que jeunesse se passe. Quand il aura jeté son premier feu, qui sait si ce ne sera pas plus tard un membre respectable de la société ? »

Accoutumés comme ils étaient à ce genre de badinage aux dépens de Tim Linkinwater, ils en riaient tous les trois de bon cœur, et riraient encore, si les frères, s’apercevant que Mme Nickleby n’en pouvait plus, et qu’elle était à la lettre accablée de son bonheur, ne lui avaient pas pris un bras chacun pour l’emmener, sous prétexte d’avoir à la consulter sur des arrangements de la dernière importance.

On sait que Tim Linkinwater et miss la Creevy s’étaient souvent rencontrés ensemble, et qu’à chaque fois ils avaient toujours fourni une conversation agréable et surtout animée, comme une bonne paire d’amis. C’était bien le moins qu’aujourd’hui Timothée, la voyant sangloter encore, trouvât tout naturel de chercher à la consoler. Or, miss la Creevy était assise sur un grand divan de forme antique, où il y avait de la place de reste pour deux personnes. Il était donc naturel encore que Timothée y prît place auprès d’elle. Et, si Timothée, dans un grand jour de fête comme celui-là, se montrait plus éveillé qu’à l’ordinaire et même plus coquet dans sa mise, quoi de plus naturel encore ?

Tim était donc assis à côté de miss la Creevy, les jambes croisées l’une sur l’autre, de manière que le bout de son pied (il avait le pied mignon, que faisaient mieux valoir encore aujour-