Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/435

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d’hui des souliers vernis et des bas de soie noire bien tirés) donna, nous parlons au figuré, dans l’œil de sa voisine, quand il lui dit, pour la calmer :

« Ne pleurez pas.

— Je ne puis pas m’en empêcher.

— Non, ne pleurez pas : je vous en prie. Je vous en prie, ne pleurez pas.

— Je suis si heureuse ! dit la petite femme en sanglotant plus fort.

— C’est le cas de rire alors, dit Timothée. Riez plutôt. »

On n’a jamais pu savoir ce que faisait par là le bras de Timothée, mais il se donna un coup de coude contre le coin de la fenêtre, de l’autre côté de miss la Creevy : il est évident qu’il n’avait que faire là.

« Riez donc, dit Timothée, ou bien vous allez me faire pleurer aussi.

— Et pourquoi donc iriez-vous pleurer ? demanda-t-elle en souriant.

— Parce que je suis heureux aussi : je ne le suis pas moins que vous et je veux faire comme vous. »

À coup sûr, il n’y a jamais eu d’homme qui se soit autant trémoussé que Timothée en ce moment. Son pauvre coude ! Il le cogna encore contre la fenêtre, toujours à la même place, et miss la Creevy lui demanda si c’est qu’il avait fait vœu de casser les vitres.

« Je me faisais un plaisir de penser d’avance à celui que vous causerait ce coup de théâtre, dit Timothée plus rassis.

— C’est bien aimable à vous d’avoir pensé à moi, répondit miss la Creevy, et vous ne vous trompiez pas. Rien au monde ne pouvait me faire la moitié autant de plaisir. »

Pourquoi donc miss la Creevy et Tim Linkinwater se disaient-ils cela tout bas ? Il n’y avait pourtant pas là de mystère. Pourquoi donc aussi Tim Linkinwater regardait-il si obstinément miss la Creevy, et pourquoi miss la Creevy regardait-elle si obstinément le parquet ?

« Comme c’est agréable pour des gens comme nous, qui avons passé toute notre vie seuls au monde, de voir unir des jeunes gens que nous aimons, avec tant d’années de bonheur devant eux !

— Ah ! oui ! cria la petite femme, faisant explosion de tout son cœur.

— Quoique pourtant cela fasse sentir davantage, poursuivit Timothée, le vide d’une existence solitaire et comme exilée du monde, n’est-ce pas ? »