Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/438

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lement où j’en étais. Je n’aurais jamais eu le courage de m’habiller comme un monsieur. Cela m’aurait rappelé mon ancien temps, et je n’en aurais été que plus misérable. Mais, à présent, je suis un autre homme, mon petit Nick. Mon brave garçon, ah ! je ne peux seulement pas parler ; ne me dites rien ; n’ayez pas mauvaise opinion de moi, de ce que je pleure comme cela. Vous ne savez pas du tout ce que je sens aujourd’hui, vous ne pouvez pas le savoir, vous ne le saurez jamais. »

Ils entrèrent ensemble dans la salle à manger, bras dessus, bras dessous, et se mirent à table auprès l’un de l’autre.

Jamais, depuis que le monde est monde, il n’y eut pareil dîner. Il y avait d’abord un commis suranné de la banque, l’ami de Tim Linkinwater ; il y avait après cela une vieille demoiselle joufflue, la sœur de Tim Linkinwater. Et puis tant de prévenance de la part de la sœur de Tim Linkinwater pour miss la Creevy, et puis tant de plaisanteries amusantes de la part du commis suranné de la banque ! Et Tim Linkinwater, lui-même, était-il gai et léger comme un papillon, et la petite Mlle la Creevy, était-elle comique ! à eux seuls ils auraient fait la plus charmante réunion qu’on pût voir. Et Mme Nickleby donc, avec ses airs de grandeur et de condescendance ! et Madeleine avec Nicolas, tous doux la rougeur au front, quel joli couple ! Nicolas et Frank étaient tout empressés, tout fiers de leurs conquêtes. À eux quatre ils ne faisaient pas grand bruit, c’était le silence timide et tremblant du bonheur. Il y avait ensuite Newman avec sa joie immodérée qu’il croyait modérer pourtant. Enfin, les deux frères jumeaux, nageant dans la joie, et échangeant entre eux de tels regards, que le vieux maître d’hôtel en restait transpercé derrière la chaise de ses maîtres et sentait ses yeux s’obscurcir pendant qu’il les promenait tout humides autour de la table.

Quand la première fraîcheur, qui gâte toujours un dîner au début, fut passée, et que chacun se fut mis à son aise, la conversation devint plus générale, ce qui ne fit qu’ajouter, s’il est possible, à l’harmonie universelle et doubler le plaisir de tout le monde. Les frères étaient en extase, et leur insistance polie pour ne laisser sortir personne de table, avant qu’ils eussent adressé leurs compliments individuellement à toutes les dames à la ronde, donna l’occasion au commis suranné de dire tant d’excellentes choses, qu’il se surpassa en vérité et se fit la réputation d’un homme d’un esprit prodigieux.

« Ma chère Catherine, dit Mme Nickleby, prenant sa fille dans un petit coin sitôt qu’elles furent remontées au salon,