Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/437

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aveugles, ou perclus, ne serions-nous pas bien aises d’avoir là quelqu’un que nous aimons, pour causer avec nous et nous tenir compagnie ? Soyons ce couple heureux. Je vous en prie, ma chère demoiselle. »

Cinq minutes après cette proposition honnête et directe, la petite Mlle la Creevy et Timothée jasaient ensemble à leur aise, comme s’ils étaient mariés depuis vingt ans, sans jamais s’être querellés. Et puis, cinq minutes après encore, quand miss la Creevy eut le temps d’aller voir dans la glace si elle n’avait pas les yeux rouges et de rajuster ses cheveux, Timothée se rendit d’un pas majestueux au salon, s’écriant en chemin : « Il n’y a pas une femme comme elle dans toute la ville de Londres ; non, il n’y en a pas. »

Cependant le maître d’hôtel, à la face apoplectique, ne savait que devenir en voyant différer si longtemps le dîner sans qu’on l’eût prévenu. Nicolas, dont mes lecteurs et mes lectrices peuvent deviner par eux-mêmes ou par elles-mêmes quelles avaient été pendant ce temps-là les occupations, descendit en courant les escaliers, docile à l’appel impatient du fidèle serviteur. Mais là il rencontra une surprise nouvelle.

Il aperçut, sur son chemin, dans un corridor, un étranger élégamment vêtu de noir, qui se dirigeait aussi du côté de la salle à manger. Comme il boitait un peu et marchait lentement, Nicolas ralentissait le pas par derrière, et le suivait de près, se demandant qui ce pouvait être, quand l’autre se retourna tout à coup et lui prit les deux mains.

« Newman Noggs ! cria Nicolas enchanté.

— Oui, Newman, votre vrai Newman, votre vrai, vieux, fidèle Newman. Mon brave garçon, mon petit Nick, je vous souhaite joie, santé, bonheur, tout ce que vous pouvez désirer. Je suis tout saisi de vous revoir ; c’est trop fort pour moi, mon cher ami, j’en suis comme un enfant.

— Qu’est-ce donc que vous êtes devenu ? Qu’avez-vous fait tout ce temps-là ? dit Nicolas. Que de fois j’ai demandé de vos nouvelles et toujours reçu la même réponse, que j’entendrais parler de vous avant peu !

— Je le sais, je le sais, reprit Newman. Ils n’étaient pas moins impatients que vous de nous réunir tous. Je leur ai donné un petit coup de main. Et moi, moi, regardez-moi, Nick, regardez-moi donc.

— Je vois bien, dit Nicolas d’un ton de doux reproche. Ce n’est pas de moi que vous auriez jamais voulu accepter cela.

— Que voulez-vous ? à cette époque-là, je ne savais pas seu-