Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/451

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s’il y eut jamais un heureux couple dans le monde, on peut bien dire que c’était celui de M. et Mme Linkinwater.

Ralph étant mort intestat, sans laisser d’autres parents que ceux avec lesquels il était resté pendant sa vie sur le pied d’une inimitié déclarée, c’est à eux que revenait légalement sa fortune par droit d’héritage ; mais ils ne purent supporter la pensée de s’enrichir avec de l’argent mal acquis : ils auraient eu peur qu’il ne leur portât malheur. Ils ne réclamèrent rien, et les richesses qu’il s’était donné tant de mal à amasser en toute sa vie, au prix de tant de vilaines actions, finirent par aller s’engouffrer dans les caisses de l’État, sans que personne y gagnât rien.

Arthur Gride fut poursuivi pour détention illégitime du testament, soit qu’il l’eût fait voler à son profit, soit qu’il l’eût acquis ou recélé par des moyens qui n’étaient guère plus honnêtes. Grâce à l’esprit inventif de l’avoué chargé de son affaire et à certains vices de nullité, il trouva moyen d’échapper à une condamnation mais ce ne fut que pour tomber de Charybde en Scylla. Car, peu d’années après, sa maison fut pillée la nuit par des voleurs qu’avait attirés le bruit de sa richesse, et on le trouva étranglé dans son lit.

Mme Sliderskew passa les mers presque à la même époque que M. Squeers, et ne les repassa jamais. Brooker mourut repentant. Sir Mulberry Hawk vécut à l’étranger quelques années encore, fêté, courtisé, caressé, sans rien perdre de sa réputation d’homme à la mode ; finalement il revint dans son pays pour s’y voir coffrer dans la prison pour dettes ; il y périt misérablement, fin ordinaire de tous ces personnages à grand fracas.

Le premier soin de Nicolas, quand il fut devenu un riche et brillant négociant, fut d’acheter l’ancien manoir de son père. Par la suite des temps, à mesure qu’il vit grandir autour de lui une troupe de charmants enfants, il agrandit la maison et arrondit le domaine ; mais il respecta toutes les chambres d’autrefois ; il n’en détruisit pas une, pas plus qu’il ne déracina les arbres qui avaient ombragé son enfance. Rien de ce qui rappelait à son esprit une circonstance du passé ne fut sacrifié ni changé.

À une portée de fusil, était une autre retraite, animée aussi par la voix charmante de nombreux enfants. C’était là qu’était Catherine, avec bien des petits soins et des occupations nouvelles, entourée d’une famille nouvelle aussi, une foule de figures fraîches et rondelettes, appelant son doux sourire par leurs caresses ; l’un d’eux lui ressemblait au point que la grand’maman croyait encore la voir dans sa première enfance. Pour elle, c’était