Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/57

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froide et stériles de Fiteroy-Square, ou encore les allées sablées et les bancs de jardin si élégants des squares de Russell et d’Easton ; qu’on n’aille pas croire que l’affection de Tim Linkinwater ou des autres partisans de cette localité fût soutenue et excitée par quelque association d’idées rafraîchissantes, avec un feuillage par exemple, même sombre, ou avec un gazon, même rare et maigre, non ; il n’y avait dans le square de la Cité pas d’autre enclos que le petit treillage autour de la lanterne de gaz au milieu de la place, ni d’autre gazon que le chiendent qui pousse au pied. C’est un petit endroit tranquille, peu fréquenté, retiré même, favorable aux méditations mélancoliques, aux rendez-vous à long cours ; on y voit de tous côtés se promener de long en large, chacun à son tour, tous les gens qui viennent y croquer le marmot, éveillant les échos au bruit de leurs pas monotones sur les pavés usés par le temps ; on les voit, pour se distraire, commencer par compter les fenêtres, et puis finir par compter les briques de toutes les grandes et silencieuses maisons qui l’entourent. En hiver, la neige y reste encore volontiers longtemps après qu’elle s’est fondue dans les rues et sur les routes ; en été, le soleil s’en tient à distance respectueuse, et ne lui envoie qu’avec discrétion quelques-uns de ses gais rayons, gardant sa chaleur brûlante et toutes ses splendeurs pour des places plus bruyantes et moins imposantes.

Celle-ci est si paisible que vous pourriez y entendre le tic tac de votre montre quand vous vous arrêtez un moment à respirer le frais dans son atmosphère réfrigérante. Il y règne un bourdonnement lointain, non pas de moucherons, mais des voitures de la Cité ; c’est le seul bruit qui trouble sa solitude. Le facteur harassé se repose en passant contre le poteau du coin, où il trouve une chaleur douce, mais non pas brûlante, quand ailleurs tout rôtit au soleil. Il laisse flotter languissamment à l’air son tablier blanc ; sa tête retombe peu à peu sur sa poitrine, ses yeux luttent longtemps avant de se fermer tout à fait, mais il finit lui-même par céder à l’influence soporifique de cette latitude, et se livre insensiblement au sommeil. Puis, en se réveillant, il tressaille tout à coup et recule quelques pas en arrière, les yeux fixés devant lui avec une expression de surprise étrange. Qu’est-ce donc qu’il regarde, est-ce un faiseur de tours ou un petit garçon qui joue à la poquette ? Est-ce un spectre qui lui apparaît ? Est-ce un orgue qui frappe ses oreilles ? Non, c’est quelque chose de bien plus extraordinaire : il voit un papillon sur la place, un vrai papillon, un papillon en vie, qui s’est égaré, le malheureux, loin du suc des fleurs, pour venir voltiger