Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans la boutique. L’escalier était consacré aux lapins. Là, dans des compartiments faits de pièces et de morceaux avec toute sorte de caisses d’emballage, de boîtes, de débris de comptoirs et de coffres à thé, ces rongeurs pullulaient sans fin, et joignaient leur tribut aux bouffées compliquées qui, sans distinction de personnes, saluaient impartialement à son entrée tout nez qui se hasardait dans l’agréable boutique de barbier tenue par Sweedlepipe.


Cela n’empêchait pas bien des nez de fréquenter cette maison, principalement le dimanche matin, avant l’heure du service religieux. Les archevêques eux-mêmes se rasent ou ont besoin qu’on les rase le dimanche, et la barbe pousse aussi bien après les douze heures sonnées dans la nuit du samedi, même au menton des plus humbles ouvriers, qui, faute d’avoir le moyen de se donner un valet de chambre à l’année, prennent un frater à la minute, et le payent… fi de cette sale monnaie de cuivre !… en vils sous. Poll Sweedlepipe rasait donc pour ses péchés tout venant à un penny par tête, et coupait les cheveux à tous les chalands moyennant deux pence ; et comme il était célibataire et qu’il travaillait en sus dans la partie des oiseaux, Poll faisait passablement ses affaires.


C’était un petit homme déjà vieillot ; sa main droite, gluante et froide, ne pouvait perdre son goût de savon à barbe, au contact même des lapins et des oiseaux. Poll avait quelque chose de l’oiseau, non du faucon ou de l’aigle, mais du moineau qui se niche au haut des cheminées et montre du goût pour la société de l’homme. Cependant il n’était point querelleur comme le moineau, mais bien plutôt pacifique comme la colombe. Il se rengorgeait en marchant, et à cet égard il offrait une certaine analogie avec le pigeon, aussi bien que par sa parole plate et insipide, dont la monotonie rappelait le roucoulement de cet oiseau. Il était extrêmement curieux, le soir, quand il se tenait sur le pas de la porte de sa boutique, guettant les voisins ; avec sa tête penchée de côté et ses yeux pétillants et moqueurs, il avait un reflet de la malice du corbeau. Cependant Poll n’avait pas plus de fiel qu’un rouge-gorge. Par bonheur aussi, lorsqu’une de ses facultés ornithologiques était sur le point de l’entraîner trop loin, elle était adoucie, tempérée, mélangée neutralisée par son essence de barbier ; de même que son chef dénudé, autrement dit sa tête de pie rasée, se perdait sous une perruque de boucles noires bien tire-bouchonnées, séparées par une raie de côté et un