Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/101

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L’honnête homme dirigea un regard vers M. Chuzzlewit, comme pour dire : « Vous voyez ! » puis il s’adressa à Tom directement en ces termes :

« Monsieur Pinch, j’ai laissé la fenêtre de la sacristie entr’ouverte. Voulez-vous me rendre le service d’aller la fermer ? vous m’apporterez les clefs de l’édifice sacré !

– La fenêtre de la sacristie, monsieur ! s’écria Tom.

– Vous m’entendez, je pense, monsieur Pinch ? répliqua le patron. Oui, monsieur Pinch, la fenêtre de la sacristie. J’ai le regret de vous dire que, m’étant endormi dans cette église après une tournée fatigante, j’y ai saisi par hasard quelques fragments (il appuya sur le mot) d’une conversation entre deux personnes. Une d’elles ayant fermé à double tour l’église en s’en allant, j’ai dû me retirer par la fenêtre de la sacristie. Rendez-moi le service d’aller clore cette fenêtre, monsieur Pinch, puis vous reviendrez me trouver. »

Il n’est pas au monde un physiognomoniste qui eût pu traduire l’expression des traits de Tom lorsqu’il entendit ces paroles. Il y régnait à la fois de l’étonnement et un air de doux reproche ; mais rien n’y annonçait la crainte ni la conscience d’une faute, bien qu’une multitude d’émotions violentes luttât pour y faire explosion. Il s’inclina et, sans dire un mot, le moindre mot, se retira.

« Pecksniff, s’écria Martin tremblant, que signifie tout cela ? Ne faites rien à la hâte ; vous pourriez en avoir du regret !

– Non, mon bon monsieur, dit M. Pecksniff d’une voix ferme. Non. Mais j’ai à remplir un devoir vis-à-vis de la société et, coûte que coûte, je le remplirai, mon ami ! »

Ô devoir prétendu, qu’on tarde toujours tant à se rappeler et qu’on oublie si volontiers ; devoir du bout des lèvres, devoir menteur ; dette prétendue que l’on garde toujours et qu’on ne paye jamais à autrui que pour satisfaire sa colère et sa vengeance, quand donc l’humanité commencera-t-elle à te connaître ? Quand donc les hommes te salueront-ils dans ton berceau négligé et dans ta jeunesse flétrie, au lieu d’attendre pour te reconnaître que les fautes de l’âge mûr et les misères de la vieillesse aient défiguré tes traits ? Ô juge fourré d’hermine, dont le devoir envers la société est aujourd’hui de condamner à des châtiments et à la mort le criminel en haillons, dis-moi, n’as-tu pas un autre devoir à remplir en fermant les cent portes béantes qui ont appelé ce misérable au dock de l’infamie et en entr’ouvrant au moins le portail qui pouvait le mener à une vie honnête ?