Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/107

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porter sa malle. C’était un des garçons du Dragon. Il arriva en frappant lourdement du pied sur l’escalier et adressa un salut franc et brusque à Tom (à qui d’ordinaire il faisait un signe de tête amical accompagné d’un sourire), comme s’il était instruit de ce qui s’était passé et qu’il désirât faire comprendre à Tom qu’il ne l’en estimait pas moins pour cela. Ce salut fut exécuté gauchement, l’homme n’était qu’un valet d’écurie ; mais Tom lui en sut gré, et le plaisir qu’il en eut le consola de son départ.

Tom voulait l’aider à enlever la malle ; mais l’homme n’eut pas plus de peine à l’emporter, si lourde qu’elle fût, qu’un éléphant n’en aurait à porter une tour. Il la balançait en dégringolant l’escalier, avec tant d’aisance qu’il avait l’air de dire : « Voyez-vous, avec une carrure comme ça il vaut mieux porter une malle que de s’en aller les bras ballants. » Tom prit le sac de nuit et accompagna le porteur jusqu’au bas de l’escalier. À la porte extérieure se tenait Jane, qui pleurait de toutes ses forces, et sur les marches était mistress Lupin, qui sanglotait et tendit la main à Tom.

« Vous allez venir au Dragon, monsieur Pinch ?

– Non, dit Tom, non. Je vais aller à pied à Salisbury cette nuit même. Je ne pourrais m’arrêter ici. Pour l’amour du ciel, ne me faites pas de la peine comme ça, madame Lupin.

– Mais vous viendrez au Dragon, monsieur Pinch, ne fût-ce que pour cette nuit. Vous y viendrez à titre de visiteur, vous comprenez, et non comme voyageur.

– Dieu me bénisse ! dit Tom, s’essuyant les yeux. Tant de bienveillance est capable de vous briser le cœur ! Je désire me rendre cette nuit à Salisbury, chère bonne créature. Si vous voulez bien me garder ma malle jusqu’à ce que je vous écrive à ce sujet, je considérerai cela comme le plus grand service que vous puissiez me rendre.

– Je voudrais, s’écria mistress Lupin, que vous eussiez vingt malles, monsieur Pinch, afin de pouvoir vous les garder toutes.

– Merci, dit Tom. Je vous reconnais bien là. Adieu ! adieu ! »

Il y avait bien des gens, jeunes et vieux, debout autour de la porte ; plusieurs d’entre eux pleuraient avec mistress Lupin, tandis que les uns s’efforçaient de montrer de la fermeté à l’instar de Tom, et que les autres étaient pénétrés d’admiration pour Pecksniff, un homme capable de bâtir une église,