Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/106

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usés de compagnie. Les élèves avaient fait leur temps d’apprentissage ; les saisons s’étaient succédé ; à travers tout cela, Tom et le vieux tabouret étaient restés ensemble. Cette partie de la salle avait reçu le nom traditionnel de « coin de Tom. » On le lui avait assigné dans l’origine parce qu’il était exposé à un fort courant et très-éloigné du feu ; depuis lors, Tom l’avait toujours occupé. Sur la muraille s’étalaient ses portraits, de vraies charges où l’on n’avait point embelli ses traits. On lui avait fait sortir de la bouche dans d’énormes ballons des phrases diaboliques ; tout à fait étrangères à son caractère. Chaque élève nouveau s’était piqué d’y ajouter quelque chose ; on avait été jusqu’à dessiner des portraits de fantaisie de son père avec un œil unique, de sa mère avec un nez disproportionné, mais particulièrement de sa sœur, représentée toujours avec les traits les plus charmants, ce qui consolait Tom de toutes les autres plaisanteries. Sous l’empire d’événements moins extraordinaires, Tom eût eu le cœur navré de quitter toutes ces choses et de penser qu’il les voyait pour la dernière fois ; mais il surmonta cette épreuve. Il n’y avait pas, il n’y avait jamais eu de Pecksniff : tous ses autres chagrins étaient absorbés par celui-là.

Lorsqu’il revint à la chambre à coucher, et que, ayant fermé sa malle et un sac de nuit, il eut boutonné ses guêtres de voyage, sa grande redingote, mis son chapeau sur sa tête et pris en main son bâton, il promena son regard autour de lui pour la dernière fois. C’était dans cette même chambre que, dès le point du jour dans l’été, et à la lueur de ses bouts de chandelle dans les nuits d’hiver, il avait lu, jusqu’à s’en rendre presque aveugle. C’était dans cette même chambre qu’il avait essayé d’apprendre le violon sous ses couvertures, et que, cédant aux objections des autres élèves, il avait, bien malgré lui, renoncé à ce projet. En toute autre occasion, il eût quitté cette chambre avec douleur ; en songeant à tout ce qu’il y avait appris aux nombreuses heures qu’il y avait passées, il eût pleuré pour l’amour de ses rêves mêmes. Mais il n’y avait pas, il n’y avait jamais eu de Pecksniff ; et le néant de Pecksniff étendait son effet à la chambre où, assise sur un lit à part, cette chose qui était censée la Grande Abstraction, avait souvent prêché la morale avec un tel effet que Tom avait senti ses yeux se mouiller, tandis qu’il restait sans souffle suspendu aux lèvres éloquentes du moraliste.

Tom Pinch connaissait bien l’homme qu’on avait chargé de