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CHAPITRE VIII.
Ce qui se passait à Éden : événement au dehors. – Martin fait une découverte d’une certaine importance.

De M. Moddle à Éden la transition est facile et naturelle. M. Moddle, vivant dans l’atmosphère de l’amour de miss Pecksniff, se trouvait (s’il eût pu seulement s’en douter) dans un paradis terrestre. La florissante ville d’Éden était aussi un paradis terrestre, du moins sur le plan du propriétaire. On aurait pu, par une licence poétique, représenter miss Pecksniff comme quelque chose de trop bon pour l’homme dans son état de chute et de dégradation. Tel était exactement le caractère de la florissante ville d’Éden, sauf les exagérations poétiques de Zephaniah Scadder, du général Choke et autres galants hommes enveloppés dans les serres de ce grand aigle américain qui ne cesse de planer au haut des cieux dans le plus pur éther, et qui jamais, jamais, jamais ne tombe dans la boue : il aurait trop grand’peur de se crotter les ailes.

Quand Mark Tapley, laissant Martin dans les bureaux d’architecture et d’arpentage, eut bien fortifié et relevé son courage par le spectacle approfondi de leurs misères communes, il se mit avec une ardeur nouvelle à rechercher les moyens d’y faire face, se félicitant en chemin du sort digne d’envie qu’il avait enfin conquis :

« Souvent j’avais pensé qu’une île désolée me conviendrait parfaitement ; mais là je n’aurais eu à songer qu’à moi, et, comme je suis un homme qui s’accommode de tout, il n’y aurait pas eu beaucoup de mérite à cela. Maintenant il faut que je soigne mon compagnon ; c’est l’espèce d’homme dont j’avais besoin. J’avais besoin d’un homme comme celui-ci, qui glisse toujours sur ses jambes quand il devrait s’y tenir le plus solidement. J’avais besoin d’un homme si novice dans l’apprentissage de la vie, qu’il ne sût faire autre chose que des caricatures sur son cahier. J’avais besoin d’un homme comme celui-ci, toujours fourré dans sa grande redingote et son manteau, et recoquillé sur lui-même. Et je l’ai trouvé ! s’écria M. Tapley après un moment de silence. Quel bonheur ! »