Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/12

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Le jeune gentleman articula ces derniers mots d’un ton très-élevé et avec une énergie effrayante, comme s’ils contenaient en eux-mêmes le principe de la menace la plus terrible. Mais à peine les eut-il proférés, que sa colère fit place à la surprise, et que le bon petit homme s’écria d’un accent radouci :

« Tiens, c’est Polly !

– Tiens ! c’est vous ? s’écria Poll. Pour sûr, ce n’est pas possible !

– Non, ce n’est pas moi, répliqua le jeune gentleman. C’est mon fils, mon fils aîné. Il fait honneur à son père, n’est-ce pas, Polly ? »

Et, tout content de cette fine plaisanterie, il se balança sur le trottoir et se livra à des évolutions pour mieux faire admirer sa tournure, sans s’inquiéter s’il gênait les passants, qui n’étaient pas à l’unisson de sa belle humeur.

« Je ne l’aurais pas cru, dit Poll. Comment ! vous avez donc quitté votre ancienne place ?

– Si je l’ai quittée ! répliqua son jeune ami, qui, pendant ce temps, avait fourré ses mains dans les poches de sa belle culotte de peau blanche, et qui se dandinait aux côtés du barbier. Savez-vous, Polly, reconnaître une paire de bottes à revers quand elles vous crèvent les yeux ? Regardez-moi ceci !

– Ma-gni-fique ! s’écria M. Sweedlepipe.

– Vous connaissez-vous en boutons repoussés ? Ne regardez pas les miens, si vous n’êtes pas bon juge, car ces têtes de lion sont faites pour des hommes de goût, et non pour des snobs.

– Ma-gni-fique ! s’écria de nouveau le barbier. Et ce beau frac épinards à galons d’or ! et cette cocarde au chapeau !

– Un peu, mon cher, répliqua le jeune garçon. Cependant ne parlons pas de la cocarde : car, excepté qu’elle ne tourne pas, elle ressemble au ventilateur qui se trouvait chez Todgers à la fenêtre de la cuisine. N’avez-vous pas vu le nom de la vieille dame imprimé dans le journal ?

– Non, répondit le barbier. Est-ce qu’elle est en faillite ?

– Si elle n’y est pas déjà, elle y sera, dit Bailey. Ses affaires ne pourront jamais marcher sans moi. Eh bien ! comment allez-vous ?

– Oh ! parfaitement, dit Poll. Demeurez-vous de ce côté de la ville, ou bien venez-vous me voir ? était-ce le motif qui vous amenait dans Holborn ?