Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/13

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Je n’ai aucun motif pour venir dans Holborn, répondit Bailey d’un air blessé. Toutes mes occupations sont dans le West-End. J’ai un fameux maître à présent : un homme dont vous auriez bien du mal à voir la figure, à cause de ses favoris, ni les favoris, à cause de la teinture qui les couvre. Voilà un gentleman, parlez-moi de ça ! Voudriez-vous faire un petit tour en cabriolet ? Mais ce n’est peut-être pas prudent de vous faire cette proposition : vous pourriez vous trouver mal, rien que de me voir tourner le trottoir au petit trot. »

Pour donner une légère idée de la manière dont il accomplissait cette opération, M Bailey se mit à imiter les mouvements d’un cheval lancé au grand trot, et il cabrait si haut sa tête en reculant contre une pompe, qu’il fit tomber son chapeau.

« Eh bien ! dit Bailey, ce cheval, c’est l’oncle de Capricorne et le frère de Chou-Fleur. Depuis que nous l’avons, il a passé à travers les vitres de deux boutiques de marchands de chandelles, et on l’avait vendu parce qu’il avait tué sa bourgeoise. C’est ça un cheval, j’espère !

– Ah ! vous ne m’achèterez plus jamais de linottes, dit Poll en regardant son jeune ami d’un air mélancolique. Vous n’aurez plus besoin d’acheter des linottes pour les suspendre au-dessus de l’évier !

– Je ne pense pas, répliqua Bailey. J’ai mieux que ça. Je ne veux plus avoir affaire à aucun oiseau au-dessous d’un paon, et encore c’est trop commun. Eh bien ! comment allez-vous ?

– Oh ! parfaitement, » dit Poll.

Il fit la même réponse que la première fois, parce que M. Bailey lui avait fait la même question, et M. Bailey lui avait répété sa question, parce que c’était une occasion d’écarter les jambes, de plier le genou, de faire sonner ses bottes à revers, enfin de développer ses grâces cavalières, et de prendre une pose d’écuyer d’hippodrome.

« Et où allez-vous comme ça, mon vieux ? demanda le petit roué avec la même effronterie, car Bailey était le personnage important de la conversation, tandis que le gentil barbier n’était là que comme un enfant.

– Je vais de ce pas chercher ma locataire pour la ramener à la maison, dit Paul.

– Une femme ! s’écria M. Bailey. Je savais bien ! Je l’aurais parié vingt livres sterling. »