Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/129

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pas dans toute l’Amérique un marécage qui, en comparaison de cette petite île-là, ne soit un paradis. Vous avez fait votre arrangement à fond et en règle avec Scadder, n’est-ce pas, monsieur ? » dit-il à Mark.

Celui-ci répondit affirmativement. M. Chollop cligna de l’œil à l’autre citoyen.

« Scadder est un habile homme, monsieur ! C’est un homme d’avenir ! C’est un homme qui ira loin, monsieur ! très-loin. »

M. Chollop cligna encore de l’œil à l’autre citoyen.

« Si cela ne dépendait que de moi, dit Mark, il monterait bien haut ; aussi haut que le bout d’une bonne grande potence. »

M. Chollop était si enchanté que son excellent compatriote eût floué un Anglais, et que l’Anglais en éprouvât du ressentiment, qu’il ne put se contenir davantage et laissa échapper une explosion de joie. Mais ce fut surtout chez l’autre que cette démonstration passionnée fut le plus étrange : il fallait voir ce pestiféré, ce fiévreux, ce misérable fantôme ; cela lui causa un tel plaisir que, rien qu’en y songeant, il semblait avoir oublié sa propre ruine, et qu’il rit à gorge déployée quand Chollop ajouta que Scadder était un fin matois et qu’il avait su tirer par ce moyen un lopin de capital anglais, « aussi vrai que le soleil nous éclaire. »

Après avoir savouré à l’aise cette aimable plaisanterie, M. Hannibal Chollop resta à fumer et façonner son cercle, sans autrement se préoccuper soit de causer, soit de prendre congé, probablement en vertu de cette illusion générale, qui admet en principe que, pour un citoyen libre et éclairé des États-Unis, convertir la maison d’autrui en un crachoir durant deux ou trois heures est une attention délicate pleine d’attrait et de politesse, et dont personne ne saurait se lasser. Enfin il se leva.

« Allons, je m’en vais, » dit-il.

Mark l’engagea à prendre un soin particulier de sa santé.

« Avant que je sorte, dit brusquement Chollop, j’ai un petit mot à vous communiquer. Vous êtes diablement fin. »

Mark le remercia pour ce compliment.

« Mais vous êtes par trop fin, ça n’ira pas longtemps comme ça. Je ne connais pas dans les bois de panthère ni de jaguar qui soit jamais criblé de part en part comme vous le serez, à coup sûr.

– Pour quelle raison ? demanda Mark.

– Il faut qu’on nous honore, monsieur, répliqua Chollop