Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est de votre part une grande preuve de liberté ; c’est un acte très-indépendant.

– Je l’ai tué, monsieur, poursuivit Chollop, parce qu’il avait soutenu dans le Portique spartiate, journal tri-hebdomadaire, que les anciens Athéniens avaient devancé le Locofoco ticket.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Mark.

– Les Européens ne savent pas ! dit Chollop, continuant de fumer tranquillement. C’est tout à fait européen ! »

Après avoir consacré quelques soins à l’entretien du cercle magique, l’Américain reprit ainsi la parole :

« Vous ne vous trouvez donc pas très-bien à Éden ?

– Certes non, dit Mark.

– Vous regrettez les impôts de votre pays ; vous regrettez les taxes sur les maisons.

– Et les maisons aussi, dit Mark.

– Et les impôts sur les fenêtres, monsieur.

– Et les fenêtres aussi pour payer les impôts, dit Mark.

– Ici vous n’avez ni barrières, ni prisons, ni billots, ni roue, ni échafaud, ni poucettes, ni piquets, ni piloris.

– Rien que des revolvers et des tranchelard, répliqua Mark. Des bagatelles ! ça ne vaut pas la peine d’en parler ! »

L’homme qui les avait rencontrés le soir même de leur arrivée se traîna en ce moment jusqu’à la porte où il se montra.

« Eh bien ! monsieur, dit Chollop, comment allez-vous ? »

L’homme avait beaucoup de peine à aller, c’est-à-dire à faire seulement quelques pas ; ce fut dans ce sens qu’il répondit.

« M. Co et moi, monsieur, dit Chollop, nous avons une petite discussion. Il faut avoir un fameux toupet pour oser défendre l’ancien monde contre le nouveau, n’est-il pas vrai ?

– Oh ! oui, répliqua le misérable fantôme.

– Je faisais simplement observer à monsieur, dit Mark s’adressant au dernier visiteur, que je regardais la ville où nous avons l’honneur de vivre comme passablement marécageuse. Quel est votre sentiment à cet égard ?

– Je pense qu’elle est peut-être humide de temps en temps, répondit l’homme.

– Mais non pas aussi humide que l’Angleterre, monsieur ? s’écria Chollop, le visage empreint de colère.

– Oh ! certainement non, pas si humide que l’Angleterre, dit l’homme ; sans parler des institutions.

– J’espère, dit Chollop d’un ton tranchant, qu’il n’existe