Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/143

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« J’estime que ce fait provient en partie de la jalousie et du préjugé, en partie de ce que les Anglais sont naturellement incapables d’apprécier les hautes institutions de notre terre natale. »

Puis, se retournant vers Martin :

« Je présume, monsieur, que, durant votre séjour dans la ville d’Éden, vous aurez eu occasion de voir un gentleman nommé Chollop ?

– Oui, répondit Martin ; mais mon ami que voici pourra mieux que moi vous satisfaire à ce sujet : car, à cette époque, j’étais dangereusement malade. Mark ! le gentleman parle de M. Chollop.

– Oh ! oui, monsieur, oui, je comprends, dit Mark.

– Un splendide spécimen des produits bruts de notre pays, n’est-ce pas, monsieur ? dit Pogram d’un ton d’interrogation.

– Ma foi, oui, monsieur ! » s’écria Mark.

L’honorable Elijah Pogram lança un regard à ses amis, comme pour leur dire : « Observez bien ceci ! Voyez ce qui va suivre ! » Et ces derniers, de leur côté, rendirent hommage au génie de Pogram par un murmure d’approbation.

« Notre cher compatriote, dit Pogram avec l’accent de l’enthousiasme, est le modèle d’un homme tout frais sorti du moule de la nature. C’est le véritable enfant de ce libre hémisphère ! vert comme nos montagnes, brillant et coulant comme nos lacs minéraux, pur des flétrissantes conventions du monde comme le sont nos grandes prairies sans limites ! Il est rude peut-être : nos ours ne le sont-ils pas ? Il est sauvage peut-être : nos buffles le sont aussi. Mais c’est un enfant de la Nature, un fils de la Liberté ; et sa réponse énergique au Despotisme et à la Tyrannie, c’est que sa brillante demeure est dans le Soleil couchant ! »

Une partie de ce discours se rapportait à Chollop, une autre à un maître de poste de l’Ouest qui, ayant fait faillite publique, peu de temps auparavant (encore un caractère qu’il n’est pas rare de rencontrer en Amérique), avait été destitué. Pour le défendre, M. Pogram (il avait voté pour M. Pogram) avait vociféré ces dernières paroles du haut de son siège de législateur et les avait lancées à la tête d’un président impopulaire. Cela produisit un brillant effet ; car les auditeurs furent enchantés ; et l’un d’eux dit à Martin : « Je suppose que vous avez maintenant une idée de la tournure d’éloquence qu’il y a dans notre pays, et que vous ne demandez pas votre reste. »