Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Pogram attendit que ses auditeurs fussent redevenus calmes pour dire à Mark :

« Vous ne semblez pas de mon avis, monsieur ?

– Eh bien, répondit Mark, je n’aimais pas beaucoup ce gentleman, voilà la vérité, monsieur. Je le trouvais un peu trop tapageur, et je n’aimais pas du tout qu’il portât sur lui tous ces petits arguments meurtriers dont il est pourvu, ni qu’il fût si prompt à s’en servir.

– C’est singulier, dit Pogram, levant assez haut son parapluie pour regarder autour de lui, à l’abri de ce meuble. C’est singulier ! Voyez-vous cette opposition obstinée à nos institutions qui fait le fond de l’esprit des Anglais !

– Ma foi ! vous êtes de drôles de gens ! s’écria Martin. Ne dirait-on pas que Chollop et la classe qu’il représente sont une de vos institutions ? Des pistolets à revolver, des cannes à épée, des coutelas de boucher et autres instruments pareils, sont-ce là des institutions dont vous ayez lieu d’être fiers ? Des duels sanglants, des combats féroces, des attaques sauvages, des coups de feu et des coups de poignard en pleine rue, sont-ce là vos institutions ? Vous verrez que bientôt on voudra me faire croire que le Déshonneur et la Fraude font partie des institutions de la grande république ! »

Tandis que ces paroles sortaient des lèvres de Martin, l’honorable Elijah Pogram parcourait de nouveau des yeux le cercle.

« Cette haine mortelle contre nos institutions, observa-t-il, pourrait servir de texte à une étude psychologique. Le voilà maintenant qui fait allusion à la Répudiation !

– Ah ! dit Martin en riant, vous pouvez, si cela vous plaît, faire de toute chose une institution, et j’avoue que je ne m’attendais pas à celles-là. Tout ça chez nous ferait partie d’une institution que nous appelons du nom générique d’Old Bailey[1] »

En ce moment, la cloche sonna le dîner ; chacun se précipita vers la cabine. L’honorable Elijah Pogram y courut avec une telle hâte qu’il oublia que son parapluie était ouvert, et l’enfonça si fortement dans la porte de la cabine qu’il devint impossible soit de l’en retirer, soit de l’y faire entrer. Durant une minute à peu près, cet accident produisit un désordre complet parmi les passagers affamés qui se trouvaient derrière

  1. L'une des prisons de Londres.