Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/154

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rible pour ses amis ; car ladite statue était une œuvre de l’école sublime ou fantastique. Elle représentait l’honorable Elijah Pogram saisi par un coup de vent, avec les cheveux complètement hérissés et les narines démesurément dilatées. Toutefois M. Pogram remercia son ami et compatriote de la proposition qu’il avait émise ; et le comité, après un nouvel et solennel échange de poignées de mains, alla se coucher, à l’exception du docteur. Celui-ci se rendit sans perdre une minute au bureau de rédaction du journal ; là, il écrivit un petit poëme sur les événements de la soirée, portant en tête : Fragment inspiré par la vue de l’honorable Elijah Pogram engagé dans une discussion philosophique avec trois des plus belles filles de la Colombie ; par le docteur GINERY DUNKLE, de Troy.

Si Pogram trouvait à aller se coucher autant de bonheur que Martin, il était bien récompensé de ses fatigues.

Le lendemain, les voyageurs se remirent en route. Martin et Mark avaient eu soin d’abord de revendre à tout prix leurs outils aux marchands mêmes de qui ils les avaient achetés. Bientôt on arriva à une courte distance de New-York. Quand Pogram fut au moment de se séparer de ses compagnons de voyage, il devint soucieux et, après quelques instants de réflexion, il prit Martin à part.

« Nous allons nous quitter, monsieur, dit-il.

– Je vous en prie, dit Martin, ne vous en affligez pas ; c’est un malheur dont il faut nous consoler.

– Ce n’est pas cela, monsieur, répliqua Pogram ; ce n’est pas du tout cela. Mais je désire que vous acceptiez un exemplaire de mon discours.

– Je vous remercie, dit Martin ; vous êtes trop bon. J’en suis très-flatté.

– Ce n’est pas cela encore, reprit Pogram : auriez-vous le courage d’en introduire un exemplaire dans votre pays ?

– Certainement, dit Martin ; pourquoi pas ?

– Les sentiments en sont énergiques, monsieur, dit Pogram, d’une voix sourde et avec hésitation.

– Cela n’y fait rien, dit Martin ; j’en emporterai une douzaine d’exemplaires si vous le désirez.

– Non, monsieur, répliqua Pogram ; non pas une douzaine. C’est plus que je ne veux. Si vous n’êtes pas fâché d’en courir le risque, monsieur, voici un exemplaire pour votre lord chancelier (il l’exhiba) et un autre pour votre principal secrétaire d’État. Je serais satisfait, monsieur, s’ils jetaient les yeux sur