Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/168

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Au reste, le changement n’alla pas plus loin que cela : car Tom était loin d’être de l’école de ces sages qui ont reconnu, parce qu’ils ont été trompés dans un homme, qu’il n’est que trop juste et trop raisonnable qu’ils s’en vengent sur l’humanité tout entière, en n’ayant plus désormais la moindre confiance en personne. Il est vrai que cette sorte de justice, bien qu’appuyée sur l’autorité de divers poëtes profonds et de plusieurs hommes honorables, ressemble tout à fait à l’arrêt de ce bon vizir des Mille et une Nuits, qui donna l’ordre de mettre à mort tous les porteurs de Bagdad, parce qu’il supposait des torts à un membre de cette malheureuse corporation ; mais on ne peut pas dire que ce procédé philosophique soit conforme aux règles de la logique, et moins encore de la morale chrétienne révélée plus tard au monde.

Tom s’était habitué depuis si longtemps à tremper le Pecksniff de ses rêves dans son thé, à l’étaler sur sa rôtie, à le faire mousser dans sa bière, qu’il ne fit qu’un chétif déjeuner le matin qui suivit son expulsion. Au dîner, il ne gagna pas non plus beaucoup d’appétit à examiner sérieusement l’état de ses affaires, et à délibérer là-dessus avec son ami le sous-organiste.

Le sous-organiste n’hésita point à lui déclarer, comme l’expression arrêtée de son opinion, que, quelque chose qu’il voulût faire, il devait avant tout se rendre à Londres, car il n’y avait pas de ville comme celle-là ; ce qui, en général, peut bien être vrai, sans que ce fût, à la rigueur, une raison suffisante pour Tom d’aller à Londres.

Mais Tom y avait déjà pensé : il avait associé dans cette pensée le souvenir de sa sœur et celui de son ancien ami John Westlock, dont il était naturellement disposé à invoquer les conseils dans ce moment de crise importante. En conséquence, il résolut d’aller à Londres, et aussitôt il se rendit au bureau de la diligence pour y retenir sa place. Comme la diligence était pleine, il fut obligé de remettre son départ à la nuit suivante ; mais ce contre-temps avait son bon comme son mauvais côté : car, si Tom risquait quelques dépenses supplémentaires de séjour à Salisbury, ce retard lui permettait aussi d’écrire à mistress Lupin pour l’inviter à lui envoyer sa malle au poteau bien connu autrefois ; occasion avantageuse d’emporter avec lui ce trésor jusqu’à la capitale et d’éviter un port par le roulage. « Ainsi, se dit-il pour se consoler, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. »