Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/199

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m’avez vue ici et que je n’ai pas oublié la conversation que nous eûmes ensemble dans le cimetière ? »

Tom lui en fit la promesse.

« Bien des fois, depuis ce jour où je lui ai exprimé le regret de n’avoir pas reçu plus tôt ses avis, je me suis rappelé les paroles de M. Chuzzlewit. Je désire qu’il sache combien ses soupçons étaient vrais, quoique jamais je ne les eusse confirmés par un aveu, comme je suis résolue à n’en parler jamais. »

Tom s’y engagea également, mais sous la forme conditionnelle. Il ne voulut pas redoubler le chagrin de Mercy en lui disant qu’il était peu probable que lui et le vieillard se rencontrassent de nouveau dans la vie.

« Si jamais il pouvait recevoir par votre entremise cette confidence, cher monsieur Pinch, continua Mercy, dites-lui que, si je lui en fais part, ce n’est pas pour moi, mais pour qu’à l’occasion il soit plus indulgent, plus patient, plus confiant envers une autre personne. Dites-lui que, s’il pouvait savoir combien mon cœur tremblait dans la balance ce jour-là, et comme il eût fallu peu de choses pour faire pencher le plateau, son propre cœur saignerait de pitié pour moi.

– Oui, oui, dit Tom, je n’y manquerai pas.

– Au moment où je lui semblais le plus indigne de son intérêt, j’étais… oh ! oui, je l’étais, car souvent, souvent depuis, j’y ai pensé… J’étais tout à fait disposée à suivre ses conseils. Oh ! s’il avait eu encore un moment de patience, s’il m’avait seulement gardée un quart d’heure de plus à me chapitrer, s’il avait prolongé de quelques instants sa compassion pour une pauvre fille, bien légère et bien étourdie, il eût pu la sauver, comme je suis certaine qu’il en avait l’intention. Dites-lui que je ne lui en veux point, et qu’au contraire je lui suis reconnaissante de l’effort qu’il a fait ; mais priez-le au nom du ciel, au nom de la jeunesse, et par pitié pour la lutte qu’une nature imprudente et inexpérimentée peut soutenir afin de réprimer l’aveu qu’elle a sur ses lèvres, et qu’elle se reprocherait comme une faiblesse, priez-le de ne jamais, jamais oublier mon exemple, quand il se trouvera en pareille occasion. »

Bien que Tom ne saisît pas complètement le sens de ses paroles, il pouvait cependant les comprendre à peu près. Touché jusqu’au vif, il prit la main de Mercy, à qui il adressa ou voulut adresser quelques mots de consolation. Elle le sentit, elle comprit ce qu’il lui disait et ce qu’il ne lui disait pas. Il se de-