Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/203

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tends de vous une réponse sincère et directe. Avez-vous besoin d’argent ? Je suis à peu près sûr que vous en manquez.

– Non vraiment, dit Tom.

– Je gage que vous me trompez ?

– Non. Je vous remercie mille fois ; mais c’est pour tout de bon. Ma sœur a quelque argent, et moi aussi. S’il ne me restait plus rien, John, j’aurais encore pour dernière ressource une bank-note de cinq livres sterling que cette bonne créature, mistress Lupin, du Dragon, m’a tendue sur l’impériale, dans une lettre où elle me priait de lui emprunter ce billet ; après quoi, elle a tourné bride le plus vite qu’elle a pu.

– Ah ! la bonne créature, s’écria John ; puisse-t-il tomber une bénédiction dans chaque fossette de son joli visage ! bien que je ne sache pas trop pourquoi vous lui donneriez la préférence sur moi. N’importe ; j’attendrai, Tom.

– Et j’espère, répliqua gaiement Tom, que vous attendrez longtemps ; car je vous dois déjà, de cent autres manières, beaucoup plus que je ne puis jamais espérer de vous payer. »

Ils se séparèrent à la porte de la nouvelle résidence de Tom. John Westlock, assis dans le fiacre, entrevit une petite créature fraîche et alerte qui s’élança pour embrasser Tom et l’aider à porter sa malle, et en ce moment John n’eût pas demandé mieux que de changer de place avec Tom.

Il faut dire aussi que Ruth était un petit être ravissant. Elle avait une grâce et une douceur sérieuse, pleine d’un charme infini. C’était bien, ma foi ! le meilleur assaisonnement aux côtelettes qu’on eût jamais inventé. Les pommes de terre semblaient prendre plaisir à envoyer sur ses pas leur agréable vapeur ; la mousse jaillissait du pot de porter pour attirer son attention. Peines perdues : Ruth ne voyait que Tom. Tom était pour elle l’alpha et l’oméga, tout au monde.

Et tandis que, assise en face de Tom, au souper, elle jouait avec ses doigts, sur la nappe, un des airs favoris de son frère, et le regardait en souriant, Tom n’avait jamais été si heureux de sa vie.