Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/212

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que vous, mais il remplit bien son devoir, très-bien même ! Maintenant, dites-moi donc un peu ce que c’est qu’un homme qui a le sommeil léger.

– Qu’il aille se faire pendre ! s’écria Jonas avec humeur.

– Non, non, interrompit Tigg, non, je ne veux pas le faire pendre.

– Un homme qui a le sommeil léger est un homme qui n’a pas le sommeil lourd, dit Jonas du ton bourru qui lui était habituel, un homme qui ne dort pas beaucoup, qui ne dort pas bien, qui ne dort pas solidement.

– Et qui rêve, dit Tigg, et qui pousse d’horribles cris ; et qui ne peut pas voir sa chandelle s’éteindre pendant la nuit sans éprouver d’affreuses angoisses, et ainsi de suite. Je comprends ! »

Ils se turent pendant quelques instants. Puis Jonas reprit :

« Maintenant que nous avons fini tous ces enfantillages, je voudrais causer avec vous. Je voudrais vous dire quelques mots avant que nous nous rencontrions là-bas, tantôt. Je ne suis pas content de l’état des affaires.

– Pas content ? dit Tigg ; l’argent rentre bien pourtant.

– L’argent rentre assez bien, répliqua Jonas, mais il ne sort pas de même. On a toutes les peines du monde à l’attraper. Je n’ai pas assez de pouvoir. C’est vous qui gouvernez tout. Que diable ! avec vos statuts par-ci, et vos statuts par-là, avec vos votes en telle qualité, et vos votes en telle autre, et vos droits officiels, et vos droits individuels, et les droits d’un tas de gens, derrière lesquels c’est encore vous qui vous cachez, il ne me reste pas de droits, à moi. À quoi sert-il que j’aie une voix, si on doit toujours l’étouffer ? Il vaudrait mieux que je fusse muet ; ce serait moins vexant. Ça ne peut pas durer comme ça, vous sentez.

– Non ? dit Tigg d’un ton insinuant.

– Non, reprit Jonas ; ça ne peut pas durer comme ça. Je ferai le diable à quatre dans les bureaux, si vous me jouez de vos tours ; et vous serez trop content de me payer ce que je voudrai, pour vous débarrasser de moi.

– Sur mon honneur… commença Montague.

– Le diable soit de votre honneur ! interrompit Jonas, qui devenait plus grossier et plus querelleur à mesure que l’autre paraissait s’excuser ; et c’est probablement ce que désirait M. Montague. Je veux exercer un contrôle plus réel sur les fonds. Vous pouvez garder tout l’honneur si vous y tenez ; je