Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/211

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— Vous avez le sommeil léger ! s’écria son ami. Qu’est-ce que c’est que ça, d’avoir le sommeil léger ? J’entends souvent cette expression ; mais, parole d’honneur, je ne sais pas du tout ce que l’on entend par là.

– Tiens ! qui donc aviez-vous là ? dit Jonas. Oh ! c’est ce vieux… chose… qui a l’air, comme toujours, de vouloir se fourrer dans la cheminée.

– Ah ! ah ! il s’y fourrerait bien s’il pouvait, soyez-en sûr.

– Eh ! bien, mais nous n’avons pas besoin de lui ici, je pense. Il peut s’en aller, n’est-ce pas ?

– Bah ! qu’il reste, qu’il reste ! dit Tigg, ce n’est pas plus embarrassant qu’un autre meuble. Il vient de faire son rapport, et il attend les ordres. On lui a dit (et Tigg éleva la voix) de ne pas perdre de vue quelques-uns de nos amis, et de ne pas s’imaginer que ce soit une affaire finie. Il sait ce qu’il a à faire.

– Ce n’est pas sans besoin, répliqua Jonas, car je n’ai jamais vu de vieil automate qui eût l’air moins intelligent. Je crois qu’il a peur de moi.

– Vous ? dit Tigg ; je suis sûr qu’il vous craint comme le poison. Nadgett, donnez-moi cette serviette ! »

Il n’y avait aucune raison pour qu’il demandât une serviette, mais il n’y en avait pas davantage pour que Jonas tressaillît comme il fit au mot de poison. Nadgett apporta ce qu’on lui demandait, et, après quelques instants, il alla lentement reprendre sa place auprès du feu.

« C’est que, voyez-vous, mon cher, reprit Tigg, vous êtes trop… Qu’ont donc vos lèvres ? Elles sont toutes blanches !

– J’ai pris du vinaigre avec mes huîtres, tout à l’heure à déjeuner, dit Jonas. Où donc sont-elles blanches ? ajouta-t-il en jurant entre ses dents, et en se frottant les lèvres avec son mouchoir. Je suis sûr qu’elles ne sont pas blanches du tout.

– C’est vrai, maintenant que j’y regarde de plus près, elles ne me paraissent pas blanches, répondit son ami ; les voilà qui reprennent leur couleur.

– Dites-moi ce que vous alliez me dire, s’écria Jonas avec colère, et ne vous occupez pas de ma figure ! Pourvu que je puisse montrer les dents quand bon me semble (et j’en suis très-capable), la couleur de mes lèvres ne signifie rien.

– Vous avez raison ! répliqua Tigg. Je voulais donc seulement vous dire que vous êtes trop vif et trop actif pour apprécier notre ami ; il est trop timide pour plaire à un homme tel