Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/214

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Il fit signe à Jonas de rapprocher sa chaise ; puis, jetant un regard autour de la chambre, comme pour lui rappeler la présence de Nadgett, il lui murmura quelques mots à l’oreille.

Du rouge au blanc ; du blanc au rouge ; du rouge au jaune ; puis du jaune à un bleu froid, terne, livide, tâché de sueur, le visage de Jonas revêtit alternativement toutes ces teintes pendant les quelques moments que parla Montague ; et lorsque enfin il posa la main sur les lèvres de ce dernier, tremblant qu’un souffle de ce qu’il entendait ne parvint aux oreilles du tiers qu’ils avaient avec eux, cette main était lourde et glacée comme celle de la Mort.

Il retira sa chaise en arrière de quelques pas, et y resta cloué, image vivante de la terreur, de l’angoisse et de la rage. Il n’osait parler, ni regarder, ni remuer, ni rester en place. Abject, rampant, misérable, il ravalait plus bas la forme humaine dont il était revêtu, que s’il eût été couvert de la tête aux pieds d’une lèpre hideuse.

Son associé continua tranquillement sa toilette, et l’acheva ; de temps à autre il souriait en voyant la transformation qu’il avait opérée ; mais il ne prononça pas un seul mot. Quand il fut complètement habillé :

« Vous ne refuserez pas, dit-il, de vous risquer un peu davantage avec nous, Chuzzlewit mon ami, n’est-ce pas ? »

Les lèvres pâles murmurèrent : « Non !

– Bien dit ! je vous reconnais enfin. Savez-vous que je pensais hier à votre beau-père ? je me disais que, se fiant à vos avis comme à ceux d’un homme très-entendu en affaires d’intérêt, car vous l’êtes sans aucun doute, il pourrait s’unir à nous, si on lui présentait bien la chose. Il a de l’argent ?

– Oui, il en a.

– Voulez-vous que je vous laisse M. Pecksniff ? Voulez-vous vous charger de lui ?

– J’essayerai ; je ferai mon possible.

– Mille remercîments, répliqua l’autre en lui frappant sur l’épaule. Descendrons-nous ? … Monsieur Nadgett ! suivez-nous, s’il vous plaît. »

Ils descendirent dans cet ordre. Quels que fussent les sentiments de Jonas à l’égard de M. Montague ; quelque fureur qu’il éprouvât d’être ainsi traqué, enlacé, pris au piège et précipité dans un abîme sans fond ; quelles que fussent les pensées qui, dès ce moment même, s’emparèrent de son esprit, ne