Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/215

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lui montrant qu’une seule, mais terrible chance de salut, une lueur rouge dans un ciel ténébreux, il ne songeait guère que cet homme au maintien furtif, qui descendait derrière lui, fût la Fatalité attachée à sa trace ; il aurait autant aimé croire que l’autre, à côté de lui, était son bon ange.


CHAPITRE XIV.
Qui contient de nouveaux détails sur l’économie domestique de la famille Pinch, ainsi que des nouvelles extraordinaires de la Cité, qui intéressent Tom de très-près.


Être la ménagère de Tom ! quelle dignité ! Tenir un ménage quelconque ! cette idée s’était toujours associée, dans l’esprit de Ruth, à une haute responsabilité de toute sorte ; mais tenir le ménage de Tom, c’était là la plus sérieuse complication de graves missions et d’occupations importantes qu’elle eût jamais rêvée. Il était tout simple qu’elle retirât les clefs du petit chiffonnier où étaient enfermés le thé et le sucre, et des deux petites armoires à côté de la cheminée, où les noirs cafards eux-mêmes paraissaient tout moisis, tant l’humidité envieuse ternissait le lustre de leur carapace ; qu’elle fît danser son trousseau de clefs devant les yeux de Tom quand il descendait déjeuner ; que riant gaiement, mais toute fière pourtant, elle les déposât dans sa bienheureuse petite poche : car c’était pour elle une sensation si nouvelle de se trouver la maîtresse de quoi que ce fût, que, lors même qu’elle eût été la petite ménagère la plus despotique et la plus maussade, cette circonstance atténuante eût plus que suffi pour la faire acquitter honorablement.

Loin pourtant d’être despotique, il y avait, jusque dans sa manière de verser le thé, une timidité qui faisait les délices de Tom. Et quand elle lui demanda ce qu’il désirait manger