Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/217

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Pourtant elle ne semblait pas se douter de ses facultés, et c’est ce qui en faisait le grand charme.

Elle lava les tasses à déjeuner, jurant tout le temps et racontant à Tom toutes sortes d’anecdotes relatives au fondeur de cuivre ; puis elle serra tout, rendit la chambre aussi proprette qu’elle-même (n’allez pas cependant vous figurer que la chambre fût à beaucoup près aussi gentille qu’elle) ; puis elle brossa et rebrossa le vieux chapeau de son frère, jusqu’à ce qu’il devînt aussi reluisant que M. Pecksniff. Tout à coup elle découvrit que le col de chemise de Tom était éraillé vers le bord ; rapide comme l’oiseau, elle monta chercher une aiguille et du fil, revint toujours en courant, armée de son dé, et, avec une adresse merveilleuse, eut bientôt réparé le dommage.

Elle ne piqua pas une seule fois le visage de Tom, bien qu’elle chantât tout le temps son air favori, en battant la mesure avec les doigts de la main gauche, sur la cravate de son frère. À peine eut-elle fini, qu’elle repartit comme l’éclair ; en un instant elle était de retour, attachant, sous son gentil petit menton, les brides de son gentil petit chapeau, pressée d’aller chez le boucher sans perdre une minute, et priant Tom de venir avec elle, pour voir couper le bifteck de ses propres yeux. Quant à lui, il était prêt à aller n’importe où. Ils partirent donc bras dessus bras dessous, trottant aussi lestement que vous voudrez, et se félicitant mutuellement de la tranquillité de la rue, du bon marché des vivres et de la salubrité du quartier.

Rien qu’à voir le boucher manier la viande, avant de la poser sur le billot et de donner un coup de pierre à son couperet, il y avait de quoi oublier, à l’instant, qu’on eût déjeuné. Il était agréable aussi… mais véritablement agréable… de lui voir couper ces tranches si nettes et si succulentes. Il n’y avait rien de sauvage dans cette opération, quoique le couteau fût grand et acéré ; c’était de l’art, de l’art tout pur ; il fallait voir sa délicatesse de touche, son habileté d’exécution, son adresse à manœuvrer son sujet, des nuances, enfin, qui en faisaient le triomphe complet de l’esprit sur la matière : pas autre chose.

On roula une feuille de chou, la plus verte peut-être qui eût jamais poussé dans un jardin, autour du bifteck, avant de le remettre à Tom ; car le boucher avait le sentiment de son art, il en connaissait tous les raffinements. Quand il vit Tom fourrer gauchement la feuille de chou dans sa poche, il lui demanda la permission de l’aider. « C’est par la douceur, dit--